La Société québécoise des infrastructures (SQI), gestionnaire du gouvernement en matière de grands projets, estime illusoire d'interdire aux firmes de génie de se regrouper en consortiums pour répondre aux appels d'offres publics, et ce, malgré les risques de conflit d'intérêts.

« Le Québec, c'est un petit monde. Si on voulait éliminer tout potentiel de conflit d'intérêts, on éliminerait, à vue de nez, 90 % de toutes les firmes au moment des soumissions », affirme Pierre Babineau, vice-président principal à la SQI.

Selon ce dernier, la complexité des grands projets d'infrastructures force les firmes de génie, mais aussi d'architecture ainsi que les entrepreneurs, à s'allier. La SQI gère donc « le risque », mais refuse de dire qu'elle s'accommode de la situation.

« Ce n'est pas un accommodement raisonnable. Pourrait-il y avoir une autre méthode ? Interdire aux firmes [de travailler ensemble] m'apparaît illusoire et utopique ».

« Le principal rempart » de protection de la SQI, comme le dit M. Babineau, est son expertise interne : tous les projets sont gérés par le personnel de la SQI. Mais cela ne signifie par pour autant que les liens entre les fournisseurs sont analysés systématiquement.

Nouveau complexe hospitalier

Ainsi, lorsque la SQI a attribué un contrat de génie mécanique et électrique, le 4 février dernier, au consortium SNC-Lavalin-Bouthillette Parizeau-Tetra Tech, aucune vérification sur un possible conflit d'intérêts n'a été effectuée, reconnaît M. Babineau. Le mandat concerne le nouveau complexe hospitalier sur le site de l'hôpital de l'Enfant-Jésus, à Québec, un projet de 2,1 milliards de dollars.

Or, SNC-Lavalin et Bouthillette Parizeau sont partenaires pour ce projet, mais les deux firmes sont également liées indirectement dans un autre projet hospitalier. En effet, le chantier du CHU Sainte-Justine, à Montréal, est mené par SNC-Lavalin. La firme Bouthillette Parizeau a été embauchée pour effectuer des audits afin de s'assurer de la conformité des travaux de SNC-Lavalin.

Chez SNC-Lavalin, on rejette l'idée qu'il puisse s'agir d'une situation conflictuelle. Selon Erik Ryan, vice-président directeur, marketing, stratégie et relations extérieures chez SNC-Lavalin, la meilleure protection contre les problèmes est de ne rien cacher.

« Le point important d'un code d'éthique, c'est la transparence. On annonce nos couleurs. Ce n'est pas quelque chose que l'Enfant-Jésus va découvrir après coup », affirme M. Ryan.

De son côté, Bouthillette Parizeau n'a pas voulu faire de commentaire.

Un modèle d'affaire appelé à rester

À l'Association des firmes de génie-conseil (l'ancienne Association des ingénieurs-conseils du Québec), on rappelle que les consortiums se forment souvent à la demande du donneur d'ouvrage. On souligne également les avantages du partage du risque, de l'échange d'expertise et d'une meilleure répartition des tâches.

« Dans les municipalités, il y a des invitations aux entrepreneurs locaux de travailler ensemble afin de réaliser des ouvrages qui dépassent la capacité de l'un ou de l'autre », souligne le PDG, André Rainville.

Chez SNC-Lavalin, il est clair qu'il s'agit d'un modèle d'affaires qui est là pour rester, explique pour sa part M. Ryan en donnant en exemple l'immense projet de construction du nouveau pont Champlain.

« Tant que les projets se complexifient, qu'ils deviennent de plus en plus gros, que les exigences et les attentes sont de plus de plus grandes, c'est sûr que chaque expertise compte dans des projets uniques. »

Au cours des dernières années, les consortiums, les coentreprises, les alliances ou les partenariats de toutes sortes ont toutefois été très critiqués. Comme le soulignait le rapport de l'Unité anticollusion du ministère des Transports (UAC) qui a causé une importante onde de choc en 2011 - forçant en quelque sorte la tenue de la commission -, la formule des consortiums « ne favorise pas une réelle concurrence ».

« Considérés comme un mal nécessaire, les consortiums favoriseraient même une sorte de concurrence sympathique, rendant la collusion presque impossible à déceler », écrivait alors Jacques Duchesneau, qui dirigeait l'UAC.