Ils avaient 16, 18 et 19 ans, tous élèves ou anciens élèves de l'école secondaire de Kuujjuaq. En l'espace de huit semaines, ils se sont suicidés. Une situation qui survient alors que le Bureau du coroner annonce la tenue d'une enquête publique sur une tragédie semblable s'étant produite dans une réserve innue en 2015.

La capitale du Nunavik, petite communauté inuite de 2300 âmes, traverse un dur début d'année.

Juste avant Noël, Brent Koneak, 18 ans, le gars «relax» et «blagueur», grand adepte de hockey-balle, s'est enlevé la vie. «Il était déprimé, même si c'était très difficile à voir», confie un bon ami.

Quelques semaines plus tard, Mary Cooper, une adolescente de 16 ans, élève de l'école secondaire Jaanimmarik que fréquentait Brent Cooper l'an dernier, s'est à son tour suicidée. «Personne ne sait pourquoi elle l'a fait. Je crois qu'elle était juste tannée de la vie», dit son amie Janice Walsh, qui décrit une fille «bonne et aimante», passionnée de chasse.

Puis, le 2 février, en pleine Semaine québécoise de la prévention du suicide, Lukasi Forrest, 19 ans, jeune acteur bien connu au Nunavik et meilleur ami de Brent Koneak, était lui aussi retrouvé mort. Selon un proche, il ne pouvait plus supporter le fait d'avoir perdu son ami. «Ils ont grandi ensemble.»

«Tu me manques tellement, B.K. C'est incroyable», a écrit l'adolescent sur sa page Facebook la veille même de sa mort.

PHOTO TIRÉE DE SA PAGE FACEBOOK

Mary Cooper

Tout le monde connaissait Lukasi. Dans le village de 2300 habitants, le coup a été dur à encaisser. Surtout que c'était le troisième. «La communauté est en deuil. C'est une période très difficile», confie le révérend inuit Iola Metuq, qui officie au Nunavik.

Éviter le pire

À Kuujjuaq, le taux de suicide est 25 fois plus élevé que dans le reste du Québec. Mais que trois adolescents se donnent la mort dans un aussi court laps de temps, c'est «très inhabituel», confirme la porte-parole de la Régie régionale de la santé et des services sociaux Nunavik, Caroline D'Astous.

La communauté est d'ailleurs sur le qui-vive, craignant d'autres suicides à cause d'un effet boule de neige. 

«Les traumatismes ont un puissant effet d'entraînement dans les petites communautés autochtones très unies, ce qui explique peut-être les épidémies de suicide», précise Santé Canada.

À l'école, où tous les élèves ont déjà au moins croisé les disparus, une cellule de crise est en place. 

Une liste des élèves à risque a été dressée. Certains d'entre eux ont été rencontrés une fois par des professionnels de la santé, d'autres bénéficieront d'un suivi à long terme. La bibliothèque a été mise à la disposition de ceux qui souhaitent vivre leur deuil. Des services psychologiques sont offerts. Le maire est allé rencontrer les jeunes dans leurs classes pour «échanger des messages d'espoir».

Un comité réunissant la municipalité, l'école, le Centre de santé et la Régie régionale de la santé a aussi été mis sur pied pour gérer la situation. «Dès le jour 1, les familles endeuillées ont été rencontrées par notre équipe d'intervention traditionnelle en situation de crise», assure Caroline D'Astous.

Un air de déjà vu

La crise qui ébranle Kuujjuaq survient au moment où le Bureau du coroner du Québec annonce la tenue d'une enquête publique sur une histoire semblable qui a touché en 2015 la communauté innue d'Uashat-Maliotenam, près de Sept-Îles.

Cinq adultes s'y sont suicidés l'an dernier.

C'est la mort de Nadeige Guanish, 18 ans, en novembre, qui a sonné l'alarme. Déjà ébranlé par plusieurs histoires de mauvais traitements et de conditions de vie difficiles dans des communautés autochtones, Québec a alors ordonné la tenue d'une enquête publique pour faire la lumière sur le suicide de la jeune mère d'un bébé.

La semaine dernière, la coroner en chef Catherine Rudel-Tessier a annoncé que l'enquête aurait bel et bien lieu et qu'elle se pencherait sur les cinq décès.

Le hasard aura voulu que l'annonce tombe le lendemain du suicide de Lukasi Forrest.

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Vous avez besoin d'aide?

Vous pouvez communiquez en tout temps avec Suicide Action Montréal, pour Montréal et ailleurs au Québec : (514) 723-4000 ou 1 866 APPELLE (1 866-277-3553)

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Lukasi Forrest