Un nouveau système envisagé par les services frontaliers canadiens pour contrôler les voyageurs qui arrivent dans les aéroports risque d'ouvrir la porte à du profilage basé sur l'ethnie ou d'autres caractéristiques personnelles qu'il leur est impossible de modifier, craint le Commissaire à la protection de la vie privée.

Daniel Therrien presse l'Agence des services frontaliers du Canada d'expliquer le bien-fondé du choix de ce système - et de mettre en place, à tout le moins, des balises pour protéger les libertés individuelles et la vie privée. Le commissaire s'inquiète notamment du sort des «faux positifs» - ces voyageurs qui seront constamment ennuyés à leur arrivée au pays.

En vertu des lois canadiennes, les transporteurs aériens sont tenus de fournir aux services frontaliers des détails sur les passagers qui arrivent au Canada - nom, date de naissance, citoyenneté et numéro du siège, entre autres. L'agence utilise ces renseignements depuis des années pour tenter de débusquer d'éventuels terroristes ou de dangereux criminels étrangers.

L'agence utilise actuellement une méthode individuelle d'évaluation du risque reposant sur l'analyse de voyageurs particuliers, auxquels elle attribue un niveau de risque en fonction des éléments d'information qui leur sont propres. Les voyageurs présentant un niveau de risque élevé font l'objet d'une attention particulière à leur arrivée à l'aéroport.

Pour arrimer ses méthodes avec celles du département de la Sécurité intérieure des États-Unis, dans le cadre du «périmètre de sécurité» annoncé en 2011, l'agence canadienne veut cependant adopter un nouveau système, le «ciblage fondé sur des scénarios». Selon l'agence, ce système est plus fiable et plus exact, réduisant le nombre de «suspects» et de «faux positifs».

«La nouvelle méthode reposant sur des scénarios a recours à l'analyse de mégadonnées pour évaluer tous les renseignements recueillis auprès des transporteurs aériens en fonction d'une série de conditions ou de scénarios», écrit le Commissariat à la protection de la vie privée, qui a examiné en 2015 l'étude réalisée par l'agence sur les impacts de ce système au regard de la vie privée.

«Ce système pourrait permettre à l'exploitant, par exemple, de rechercher tous les ressortissants égyptiens de sexe masculin âgés de 18 à 20 ans qui se sont rendus à la fois à Paris et à New York», résume le bureau du commissaire Therrien.

«Cette nouvelle méthode inquiète le Commissariat du fait que l'on peut désormais cibler des voyageurs s'ils correspondent aux caractéristiques générales d'un groupe. (Ainsi), des personnes peuvent faire l'objet d'une attention récurrente et non nécessaire à la frontière en raison de caractéristiques qu'il leur est impossible de modifier - par exemple, l'âge, le sexe, la nationalité, le lieu de naissance et l'origine raciale ou ethnique.»

Le Commissariat recommande donc à l'Agence des services frontaliers du Canada:

- de démontrer la nécessité du ciblage fondé sur des scénarios, au-delà de l'objectif général d'harmonisation avec les États-Unis;

- de publier une description générale des types de scénarios qui pourraient être utilisés afin d'identifier les voyageurs à «risque élevé»;

- d'examiner régulièrement l'efficacité et la «proportionnalité» des scénarios, notamment les répercussions sur les libertés civiles et les droits de la personne;

- de préparer une «évaluation des facteurs relatifs à la vie privée» pour tout le Programme d'information sur les voyageurs, obtenue auprès des transporteurs aériens.

L'Agence des services frontaliers du Canada a «donné suite à toutes nos recommandations», écrit le commissaire Therrien dans son rapport annuel, déposé au Parlement en décembre.

«Elle devrait d'ailleurs nous présenter en 2015-2016 une évaluation des facteurs relatifs à la vie privée plus détaillée sur l'ensemble des activités de collecte, d'analyse, d'utilisation et de communication d'information sur les voyageurs.»