Chaque année, des millions de poussins mâles, jugés sans valeur par l'industrie des poules pondeuses, sont euthanasiés dès leur sortie de l'oeuf. Une pratique que l'Allemagne veut cesser d'ici 2017, et à laquelle une mystérieuse invention de l'Université McGill pourrait mettre fin.

Dans l'industrie des poules pondeuses, les poussins mâles ne vivent jamais plus de 72 heures. Pas assez charnus pour l'alimentation et incapables de pondre, ils sont systématiquement éliminés par les couvoirs. Et la méthode est brutale : faute d'une technologie permettant de déterminer leur sexe dans l'oeuf, c'est seulement après l'éclosion qu'ils sont acheminés, bien vivants, dans un broyeur industriel. 

Chaque année, ce sont 26 millions de poussins mâles qui sont ainsi éliminés au Canada. « Non seulement c'est parfaitement légal, mais c'est une pratique standard », dénonce Sayara Thurston, porte-parole de la division canadienne de la Humane Society. « C'est impossible que chaque animal soit tué sans souffrance. Beaucoup restent coincés dans la machine. »

Boire et frères, le seul couvoir de poules pondeuses du Québec, préfère utiliser une méthode d'asphyxie par CO2, également reconnue par le Conseil national pour les soins aux animaux de ferme, organisme d'autoréglementation de l'industrie. « Les oiseaux sont euthanasiés sous la surveillance d'un vétérinaire, puis les carcasses sont utilisées pour l'alimentation de faucons, de rapaces, de reptiles, ou pour faire de la moulée», précise le directeur général du couvoir, Eric Stejskal.

« C'est quelque chose qu'on n'aime pas publiciser, mais on fait ce qui est nécessaire pour que les consommateurs ne se sentent pas coupables de manger des oeufs. »

Les jours de ce vaste carnage, généralisé dans l'industrie avicole partout dans le monde, sont toutefois peut-être comptés. Alors que le Conseil national pour les soins aux animaux de ferme revoit ces jours-ci son code de pratique, une course technologique a lieu pour trouver une solution au problème du « sexage » des poussins.

En Allemagne, le ministère de l'Agriculture s'est associé à des chercheurs de l'Université de Leipzig pour développer un appareil qui triera les poussins dans l'oeuf avant l'éclosion, grâce à la spectroscopie. D'ici 2017, le broyage des poussins y sera formellement interdit, a annoncé le gouvernement le printemps dernier.

McGill cherche une solution

Au Québec, l'Université McGill planche aussi secrètement sur une technologie semblable. Depuis 2012, le professeur Michael Ngadi conçoit, avec le soutien du Conseil industriel de la volaille de l'Ontario et les Producteurs d'oeufs de l'Ontario, une technologie d'identification in vivo, qui permettrait « aux producteurs de ne plus gaspiller la moitié de leurs ressources à couver des oeufs qui n'ont pas de valeur » et qui « réduirait considérablement l'angoisse associée à la destruction de mâles tout à fait sains», lit-on dans un rapport du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada.

Dans un bref échange de courriels avec La Presse, le professeur Ngadi a reconnu travailler sur une telle technologie, mais n'a pas voulu en dire plus. Les travaux qu'il a publiés sur le sujet démontrent qu'il travaille lui aussi sur une technologie utilisant la spectroscopie.

« Nous avons prouvé en laboratoire que la technologie fonctionne. La technologie est brevetée. Il reste à faire fonctionner le prototype à grande échelle. Nous pensons avoir quelque chose à présenter d'ici deux mois. », dit Harry Pelissero, directeur général des Producteurs d'oeufs de l'Ontario.

La multinationale Unilever, qui fabrique entre autres la mayonnaise Hellmann's, s'est aussi engagée à investir dans la recherche pour trouver une solution au massacre des poussins mâles dans sa chaîne d'approvisionnement. L'entreprise n'a toutefois pas annoncé de date pour ce changement de cap.

Pas de loi en vue au Québec

Le Québec, qui vient tout juste d'adopter la nouvelle Loi visant l'amélioration du statut juridique de l'animal, ne s'est pas penché spécifiquement sur le sort des poussins mâles. « Le MAPAQ demande aux producteurs de s'inspirer des meilleures pratiques mondiales », affirme le porte-parole Yohann Dallaire-Boily. Mais les pratiques d'autoréglementation de l'industrie, qui ne sanctionnent pas le broyage des poussins, resteront vraisemblablement en vigueur.

« En règle générale, l'industrie agroalimentaire préfère s'autoréglementer », souligne Krista Hiddema, directrice de l'organisme Mercy for Animals, qui a mené une enquête sur le broyage des poussins dans un couvoir ontarien en 2014.

Son organisme a fait pression ces dernières années sur les gouvernements provinciaux pour qu'ils intègrent des règles plus strictes sur le broyage à leurs lois sur la Protection des animaux. La SPCA de la Colombie-Britannique exige maintenant, par exemple, que les lames des broyeurs tournent à une vitesse minimale de 6000 tours par minute et que les poussins y soient convoyés d'une façon à éviter les blocages.

« Nous avons eu beaucoup de succès avec cette approche en Colombie-Britannique. Nous n'avons pas encore rencontré les gens du gouvernement du Québec. Nous espérons le faire au début de 2016 », dit Mme Hiddema.   

L'adoption d'une nouvelle technologie permettant de déterminer le sexe des poussins dans l'oeuf serait aussi une avancée formidable, estime-t-elle. « Une bonne façon de s'assurer que ça se fasse, c'est de faire pression sur les grandes chaînes de supermarchés, qui peuvent véritablement forcer leurs fournisseurs à changer les pratiques. Et ça, c'est quelque chose que chaque consommateur peut contribuer à faire en exigeant des comptes », suggère-t-elle.