Le gouvernement Couillard a défendu le travail d'enquête mené par la Sûreté du Québec (SQ) sur des allégations d'abus de la part de ses propres policiers contre des autochtones. Il a néanmoins confié l'enquête au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) en reconnaissant que «les gens n'ont pas confiance» au processus initial.

Lise Thériault défend le travail d'enquête de la SQ

La ministre de la Sécurité publique, Lise Thériault, a réagi avec émotion aux allégations d'agressions sexuelles et d'abus de pouvoir qui auraient été commis par des policiers contre des autochtones à Val d'or. Elle a même dû interrompre son point de presse pour retenir des larmes.

«Je suis aussi choquée que la population», a-t-elle reconnu, la voix éraillée.

La ministre a annoncé que les huit policiers visés par des allégations d'agression sexuelle et d'abus de pouvoir ont été placés en «retrait administratif». Le directeur par intérim du poste local de la SQ a été remplacé. Et la sous-ministre aux affaires policières a été dépêchée à Val-d'Or.

À la demande du directeur général de la SQ, l'enquête sera confiée au SPVM, a confirmé la ministre.

Mme Thériault a dû se défendre de ne pas avoir réagi plus vite. Les gestes commis par les agents de la SQ auraient été commis en mai et ce n'est qu'au lendemain de la diffusion d'un reportage à Radio-Canada que sont survenues les annonces de vendredi.

«On n'aurait pas pu faire plus, a-t-elle affirmé. Dans le reportage, il y a des faits qui n'ont pas été portés à la connaissance des policiers.»

Elle assure que le travail d'enquête mené par la SQ était adéquat et suivait le processus. Mais elle reconnaît que la population ne croit pas que le corps policier soit en mesure d'enquêter sur ses propres agents.

«Ce n'est pas parce qu'il y a eu des lacunes (dans l'enquête de la SQ), a-t-elle dit. C'est tout simplement parce que les gens n'ont pas confiance au fait que ce soit le département d'enquête de la SQ. Donc pour restaurer cette confiance, le directeur général de la SQ me demande de transférer l'enquête.»

La SQ s'est penchée sur 14 événements impliquant huit policiers entre 2002 et 2015. Au total, 12 plaignants se sont manifestés.

Une femme a déclaré à Radio-Canada avoir été amenée par des policiers dans un chemin isolé. Les agents lui auraient demandé qu'elle leur fasse une fellation en retour de 200$. Une autre a relaté une intervention au cours de laquelle des policiers auraient détruit son téléphone cellulaire et lancé ses souliers dans la neige avant de l'abandonner sur une route située à des kilomètres de son domicile.

La SQ change son patron à Val-d'Or

La Sûreté du Québec vient de changer le patron de son détachement à Val-d'Or, dans la foulée des révélations de Radio-Canada sur des allégations graves envers ses policiers.

Guy Lapointe, responsable des relations médias du corps policier, a aussi réitéré que huit agents avaient été suspendus ce matin, le temps qu'une enquête soit complétée. 

«Aussitôt qu'on a eu des informations selon lesquelles il y avait des allégations, on a agi immédiatement», a affirmé M. Lapointe. «La SQ estime que ces comportements allégués sont complètement inacceptables.»

C'est la capitaine Ginette Séguin qui prendra les rênes du poste de police de Val-d'Or. Elle n'a pas de lien avec la région.

- Philippe Teisceira-Lessard, La Presse, à Montréal

Une enquête publique et indépendante est réclamée

À la suite de la diffusion d'un reportage troublant de Radio-Canada sur les sévices subis par des femmes autochtones à Val-d'Or, les intervenants du milieu et les autorités locales réclament des enquêtes publiques et indépendantes sur ces événements et, plus largement, sur les femmes autochtones disparues ou assassinées.

Édith Cloutier, directrice générale du Centre d'amitié autochtone de Val-d'Or, a souligné en conférence de presse vendredi que le gouvernement du Québec avait la responsabilité d'assurer la sécurité de tous ses citoyens. Elle a ainsi réclamé de façon «urgente» une enquête gouvernementale sur le cas spécifique de Val-d'Or, ainsi qu'une commission d'enquête indépendante sur les femmes disparues ou assassinées.

Elle a rappelé que plusieurs autres femmes avaient été victimes de ces abus, qualifiant la situation de «tragédie nationale».

Mme Cloutier avait aussi demandé à ce que les huit policiers visés par des enquêtes soient suspendus temporairement - une demande qui a été accordée quelques minutes plus tard par la ministre de la Sécurité publique Lise Thériault.

«Ne pas agir, c'est se rendre complice», a plaidé Mme Cloutier.

Le chef de la Première Nation Abitibiwinni David Kistabish a lui aussi pressé le premier ministre désigné Justin Trudeau de mettre en oeuvre «dès maintenant» sa promesse d'instaurer une commission d'enquête publique sur les femmes autochtones disparues ou assassinées.

«Je suis perturbé. Comme père de famille, je suis dégoûté. Comme Algonquin, je suis blessé. Comme chef, je suis choqué», a-t-il tranché.

M. Kistabish a souligné que le Québec avait également ses responsabilités dans ce dossier, insistant sur le fait qu'il fallait «faire le point, de nation à nation».

«Comme leader de ma communauté, je ne resterai pas les bras croisés, et je ne vais pas rester invisible (... ) M. Trudeau, M. Couillard, je vous demande de passer aux actes», a-t-il déclaré.

«Nous demandons justice. Justice pour les femmes qui ont été abusées, maltraitées. Justice pour les enfants qui sont abandonnés, ignorés par les autorités gouvernementales», a-t-il conclu.

Les propos de Mme Cloutier et du chef autochtone ont été précédés par le témoignage émotif de la famille de Sindy Ruperthouse, qui est disparue depuis maintenant 17 mois.

«On nous a arraché notre fille. Nous ne sommes plus les mêmes. Il manque une partie de notre famille», a affirmé péniblement son père, Johnny Wylde.

La famille de Sindy Ruperthouse avait alerté les autorités de la disparition de la femme de 44 ans et on lui aurait répondu qu'elle avait trop tardé pour le faire. Les policiers avaient dit à l'époque qu'ils attendraient la fonte des neiges, au printemps 2015, avant d'entamer les recherches, mais rien n'a été fait depuis, a déploré M. Wylde.

«Nous nous sentons démunis face à la situation», a-t-il soutenu.

- La Presse Canadienne à Val-d'Or