Nouveau bras de fer à Kahnawake. Les Mohawks viennent de renier un accord avec Québec et s'attaquent au monopole de la Société des alcools (SAQ). L'État a déjà perdu des millions dans ce dossier et les autorités sont décidées à endiguer l'hémorragie.

Le Conseil de bande, lui, doit jouer de prudence: la police a intercepté les conversations de certains de ses membres dans le cadre d'une enquête criminelle sur la contrebande.

Il aura fallu peu de temps au grand chef Joe Norton pour lancer un nouveau défi au gouvernement du Québec.

Le vétéran de la crise d'Oka, qui a gouverné à Kahnawake de 1980 à 2004, vient à peine de reprendre du service, après avoir remporté l'élection de juin dernier. Cette semaine, il arpentait les corridors du palais de justice de Longueuil, l'air grave. Il venait d'apprendre que la police de Montréal avait intercepté électroniquement des conversations de chefs membres de son conseil de bande, qui évoquaient des projets de discussions avec le gouvernement Couillard sur la vente d'alcool.

Les élus de la réserve doivent-ils s'inquiéter? lui a demandé La Presse. «Ils devraient. De nos jours, il faut faire attention à ce qu'on dit au téléphone», a-t-il laissé tomber.

Frappe anti-contrebande

M. Norton était à la cour afin d'apporter son soutien à son voisin Floyd Lahache, 58 ans, ancien hockeyeur professionnel mohawk accusé de diriger un réseau qui aurait inondé le marché de vin illicite.

M. Lahache a été arrêté le 12 mai dans le cadre de l'opération Malbec du SPVM. L'enquête se concentrait sur la First Nations Winery, un commerce appartenant à M. Lahache. Selon la police, une vaste clientèle de contrebandiers non autochtones s'y approvisionnait en vin destiné à la revente sur le marché noir. Les gouvernements auraient ainsi été privés d'environ 14 millions en taxes et tarifs de toutes sortes.

Floyd Lahache a été libéré le jour même, dans l'attente de son procès pour fraude et complot. Entre autres conditions, il devait cesser son commerce.

La police a toutefois rapidement constaté que la First Nations Winery poursuivait ses activités. Le propriétaire a donc été arrêté de nouveau le 16 octobre, pour non-respect de conditions. Cette fois, la poursuite s'est opposée à sa remise en liberté.

Démonstration d'appui

L'enquête sur remise en liberté de Floyd Lahache a débuté lundi. L'enquêteuse responsable du projet Malbec, Annie Boulianne, a aussi expliqué que l'écoute électronique sur la ligne de l'accusé a révélé «plusieurs conversations entre M. Lahache et des membres du conseil» qui démontraient que les chefs étaient «très au courant» de la situation.

«Ce que j'en comprends, c'est qu'ils veulent vérifier avec les autorités à Québec. Il était censé y avoir des réunions. J'ai compris qu'ils savent que c'est illégal», a-t-elle raconté.

Le grand chef Joe Norton s'est ensuite présenté à la barre des témoins.

«Je ne sais pas pourquoi nous sommes ici. C'est une question de taxes, pas une question criminelle», a-t-il lancé.

La position des Mohawks est claire en matière de taxes, qu'il s'agisse de cigarettes, d'alcool ou d'essence. «Votre gouvernement veut nous imposer des taxes. Notre position, c'est de ne pas accepter. Nous ne prélevons pas de taxes», a-t-il dit.

M. Norton a reconnu qu'il avait signé un accord avec les ministres péquistes Guy Chevrette et Serge Ménard en 1999. L'accord reconnaît aux responsables mohawks le droit de délivrer des permis d'alcool sur la réserve, mais précise que le vin et les spiritueux vendus doivent provenir de la SAQ.

Mais cet accord ne tient plus, dit-il. «Nous l'avons changé. Nous avons ensuite assumé la pleine autorité sur la loi.»

Quand on lui a demandé si le changement s'était fait «unilatéralement», M. Norton a répondu: «C'est ce que je comprends.»

Il s'est dit prêt à se battre jusqu'en Cour suprême, au besoin, afin que les Mohawks puissent faire le commerce du vin non taxé et sans interférence de la SAQ.

«Je suis persuadé que nous allons gagner», a-t-il lancé.

Les Peacekeepers ne veulent pas s'impliquer

Il a ajouté que les Peacekeepers, la force policière de Kahnawake, continueraient de collaborer avec les autres corps policiers dans les dossiers de trafic d'armes ou de crime organisé, mais pas dans les dossiers d'alcool ou de tabac.

Or, la non-coopération des Peacekeepers est justement l'un des arguments qu'ont invoqués les procureurs de la poursuite, Mes Philippe Vallières-Roland et Marie-Christine Lajoie-Fillion, pour justifier la détention de Floyd Lahache d'ici à son procès.

L'enquêteuse Boulianne a expliqué que les relations avec les Peacekeepers s'étaient révélées «un peu difficiles». Leur chef aurait déclaré qu'ils ne comptaient pas aller chercher Floyd Lahache chez lui, même s'il faisait l'objet d'un mandat d'arrêt.

L'enquête sur remise en liberté reprend ce matin au palais de justice de Longueuil.