« Ce n'est pas ce qu'on dit qui compte, mais ce qu'on fait. » Des changements, Diane Lemieux en a fait depuis son arrivée à la tête de la Commission de la construction du Québec (CCQ). Quatre ans plus tard, elle continue de serrer la vis à l'industrie. Le nombre de poursuites pénales déposées contre des employeurs a plus que doublé en deux ans. En entrevue avec La Presse, elle dit vouloir s'attaquer « aux délinquants chroniques » qui réussissent à « soumissionner plus bas » en payant « en dessous de la table ».

20 000 poursuites

Plus de 20 000 poursuites pénales ont été recommandées par la CCQ en 2014, selon le rapport annuel de l'organisme. Une hausse de 65 % en un an. La présidente Diane Lemieux montre du doigt certaines pratiques comme la non-détention de certificats de compétence chez des travailleurs, une infraction pourtant en baisse de 26 %. « Le fait d'embaucher des gens qui n'ont pas de cartes, c'est le début de la chaîne du travail au noir, de l'évasion fiscale », évoque-t-elle. Avant, les inspecteurs donnaient un délai de 90 jours aux fautifs, une pratique en place « depuis Mathusalem », à laquelle elle a mis fin.

Mouvements de main-d'oeuvre à la hausse

Les déclarations de mouvements de main-d'oeuvre ont bondi de 29 % en un an depuis l'instauration du Carnet référence construction. Ce système de référencement de la main-d'oeuvre a mis fin au placement syndical en 2013. Les employeurs ont dorénavant 48 heures pour aviser la CCQ chaque fois qu'ils embauchent un salarié ou qu'ils s'en départent, règle qui n'était pas appliquée à la lettre auparavant. C'est l'une des principales causes de l'explosion du nombre de poursuites pénales, a observé l'Association de la construction du Québec (ACQ). Diane Lemieux convient que la pratique est « compliquée » et entraîne « des inconvénients », mais soutient qu'elle est essentielle pour mettre à jour les bassins de main-d'oeuvre.

Éviter la judiciarisation

L'Association des professionnels de la construction et de l'habitation du Québec déplore le manque de souplesse de la Commission de la construction du Québec (CCQ) au sujet des déclarations de mouvements de main-d'oeuvre. « On veut que les employeurs se conforment, mais encore faut-il qu'ils soient bien informés, ce qui n'est pas le cas actuellement. On est allé d'un extrême à l'autre », soutient son porte-parole, François-William Simard. Avant d'en venir aux recours judiciaires, la CCQ pourrait donner un avertissement aux employeurs, surtout que les situations « non prévues à la loi » sont nombreuses, estime-t-il. L'Association de la construction du Québec (ACQ), quant à elle, appuie entièrement le « changement de culture » de la CCQ et encourage ses membres à se conformer à cette application « plus vigilante » du règlement. « Il n'y a pas de jurisprudence, alors il arrive que des constats [d'infractions] ne soient pas nécessaires », a indiqué Éric Côté, porte-parole de l'ACQ.

De l'argent comptant dans des enveloppes

Les inspecteurs de la CCQ ont détecté 10 531 infractions l'an dernier en visitant quelque 40 000 chantiers. Une performance encourageante, se réjouit Diane Lemieux. « Le nombre d'infractions notées sur chaque chantier visité est en baisse. » Depuis deux ans, la présidente a révolutionné les pratiques d'inspection de la CCQ en utilisant ses « pouvoirs assimilables à une commission d'enquête ». Le mot d'ordre : se rendre au siège social de l'entreprise au lieu de simplement lui envoyer une lettre. Elle cite l'exemple d'une perquisition menée récemment. « On a trouvé des enveloppes avec le nom des travailleurs et de l'argent "cash" dans les enveloppes », raconte-t-elle.

S'attaquer à la fraude

La CCQ a revisité ses méthodes d'enquête depuis l'automne dernier pour s'attaquer principalement aux délinquants chroniques. « Notre pari, c'est d'avoir des stratégies d'enquête et de vérification beaucoup plus intenses autour d'eux », souligne Diane Lemieux. Son ambition : neutraliser les employeurs qui utilisent des « stratagèmes sophistiqués » et les forcer à faire des « corrections » dans un court délai. « Quand des entrepreneurs soumissionnent et qu'ils ont dans leur tête l'intention de ne pas payer ce qu'ils ont à payer, de payer un bout en dessous de la table, c'est ce qui leur permet parfois de soumissionner plus bas. Ça ne marche pas. »

Alléger la production des rapports

« Si vous vous ennuyez, lisez un jour la loi R-20 [Loi sur les relations de travail dans l'industrie de la construction]. C'est compliqué pour nous, même à l'interne ! », lance Diane Lemieux. À défaut de pouvoir changer la loi, elle « adorerait » alléger le « complexe » rapport mensuel des activités des employeurs. « C'est long de même, montre-t-elle, en étirant ses bras. On n'est pas capables d'ajouter un carreau sur le formulaire ! » Autre chantier d'envergure pour la présidente : examiner les 25 métiers de la construction. Tout sera sur la table lors des consultations. « Ça peut être de fusionner deux métiers, ça peut être d'en créer un autre. »

Les femmes se font rares

Les femmes se font très rares sur les chantiers québécois, avec seulement 2238 travailleuses. En 2014, elles ne représentaient que 1,42 % de la main-d'oeuvre, bien loin de la moyenne canadienne de 4 %. « Tous les milieux de travail de la société ont évolué sur cette question-là, sauf l'industrie de la construction et l'armée canadienne. Il faut que ça arrête ! », s'exclame Diane Lemieux, qui mise beaucoup sur un programme pour aider les employeurs à gérer les équipes mixtes. Plus de la moitié des travailleuses quittent l'industrie après cinq ans. « Les femmes se font écoeurer et deviennent tannées. Quitter un travail parce que tu te fais écoeurer, ce n'est pas normal ! », déplore-t-elle.

Industrie au ralenti

L'industrie de la construction au Québec a déjà connu de meilleurs jours. L'an dernier, le nombre d'heures travaillées a diminué de 4 % par rapport à 2013. C'est un plongeon de près de 10 % en deux ans, alors que l'industrie était à son zénith. C'est principalement les secteurs du résidentiel (- 4 %) et du génie civil et voirie (- 9 %) qui ont écopé. Ce coup de frein a forcé plus de 4000 travailleurs à quitter l'industrie, une chute de 2,59 % en un an. Le chômage saisonnier demeure très fréquent : un travailleur s'affaire à temps plein sur les chantiers pendant l'équivalent de 24 semaines par année, en moyenne.