Après un hiver où les bordées de neige se sont faites rares, un été chaud et sec pourrait s'avérer très coûteux pour les usagers du fleuve Saint-Laurent. Le niveau de l'eau anormalement bas pour la période de l'année a déjà réservé de mauvaises surprises à des plaisanciers qui ont touché le fond plus vite que prévu. Le Port de Montréal et les armateurs suivent la situation à la loupe et espèrent ne pas en venir au point de devoir alléger les cargaisons des navires.

La gestion des barrages n'est pas responsable des bas niveaux d'eau du fleuve qui se retrouvent sous les moyennes habituelles; l'hiver et le printemps froid et sec que l'on a connus expliquent plutôt ce phénomène.

«Le fleuve Saint-Laurent est alimenté par deux principaux bassins versants, soit les Grands Lacs et la rivière des Outaouais. La régularisation des débits à la sortie des Grands Lacs et dans le bassin versant de la rivière des Outaouais n'est pas responsable des conditions de faible hydraulicité que nous connaissons dans cette région en ce moment», explique le porte-parole du ministère du Développement durable, de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Clément Falardeau.

Conséquences sur le transport commercial

Plus de 120 millions de tonnes de marchandises transitent chaque année par le fleuve Saint-Laurent. «Le niveau d'eau, c'est essentiel pour un port, c'est LA donnée principale que l'on suit constamment», explique Daniel Dagenais, vice-président aux opérations au Port de Montréal. La page contenant ces données est la plus consultée du site internet du Port de Montréal. «En ce moment, on n'a pas de problème et presque la totalité des navires peut être chargée à bloc», tient-il à préciser.

Prévoir des mois à l'avance

La prévision à long terme représente un défi pour les armateurs. «Si on remplit un bateau en Australie, par exemple, on doit prendre une décision deux mois à l'avance, explique Philippe Roderbourg, directeur des opérations chez Fednav. Si on est trop lourd en arrivant dans le fleuve, soit on décharge dans un autre port, soit on fait monter le navire le plus haut possible et on décharge dans une barge avec des grues. Dans les deux cas, ce sont des opérations très onéreuses.»

Quand le niveau d'eau baisse, les navires les plus imposants sont les premiers concernés puisqu'ils ont un tirant d'eau proportionnel à leur taille. Dans le fleuve, entre Montréal et Québec, la colonne d'eau disponible est idéalement maintenue à 11,3 mètres et plus. Certains navires ont toutefois besoin de davantage d'eau et doivent parfois alléger leur cargaison pour s'ajuster.

Par exemple, si le vraquier Handysize laker de Fednav quittait le Brésil chargé à capacité de sucre pour une livraison chez Sucre Lantic, à Montréal, il aurait besoin de 11,78 mètres de profondeur d'eau pour se rendre à bon port. Le niveau se situe actuellement à 12 mètres. Mais, si le niveau descendait, à titre d'exemple, jusqu'au zéro des cartes, le navire devrait alléger sa charge de 2078 tonnes pour pouvoir traverser la voie maritime.

Des marinas dans le pétrin

Les marinas subissent directement les conséquences des variations du niveau de l'eau. À la Marina Brousseau de Saint-Sulpice, les quais ont été installés 13 mètres plus loin de la berge cette année.

«On va se croiser les doigts, mais on devrait être bons pour l'été. On a encore un jeu de deux ou trois pieds avant que ça devienne problématique», a expliqué le responsable des opérations, Daniel Arsenault.

Au Port de plaisance Réal Bouvier, à Longueuil, il a fallu ajuster les chaînes reliant les quais au fond de l'eau. Une première depuis leur installation il y a huit ans.

«On a enlevé presque trois pieds de chaîne. Normalement, même quand l'eau baisse, le surplus des chaînes très lourdes se dépose au fond, explique la directrice, Ginette McDuff. Mais il y a tellement de vent cette année que les quais bougeaient quand même. Si l'eau remonte, il va falloir les réajuster.»

Finalement, à la Marina de la Rive-Nord, à Repentigny, qui a ouvert en 1977, c'est davantage le niveau de l'eau à long terme qui préoccupe le propriétaire, Yvon Vannini. En 30 ans d'opération, il estime que le niveau du fleuve a baissé de cinq pieds.

«Depuis qu'on a ouvert, il a fallu draguer trois fois (1987, 1992, 2002). Ce sont des conséquences onéreuses et complexes au niveau de l'environnement. On croise les doigts, mais éventuellement, il va falloir recreuser parce que je suis persuadé que ça va baisser encore.»