Amnistie internationale craint que le projet de loi antiterroriste du gouvernement conservateur soit utilisé pour cibler des environnementalistes ou des militants autochtones.

Dans un mémoire dévoilé lundi, l'organisme de défense des droits de la personne, comme bien d'autres groupes, croit que le projet de loi va bien au-delà des menaces réelles à la sécurité publique, et qu'il retiendra dans ses mailles des militants dont les activités sortent un peu du cadre strict des lois et règlements.

Le projet de loi C-51, déposé à la suite des attentats d'octobre dernier à Saint-Jean-sur-Richelieu et Ottawa, accorderait notamment des pouvoirs accrus au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS). Il permettrait aussi aux policiers de restreindre la libre circulation d'un suspect, d'étendre les pouvoirs de la liste d'interdiction de vol, d'interdire la propagande terroriste, et d'éliminer les barrières qui limitent l'échange d'informations entre les divers ministères et agences concernés par la sécurité publique.

Ces nouveaux pouvoirs ne s'appliqueraient pas aux activités de militantisme et de dissidence menées dans le respect des lois, mais Amnistie internationale craint que ces nouvelles dispositions ne soient par exemple utilisées contre des militants qui manifesteraient sans autorisation préalable ou en dépit d'une ordonnance du tribunal.

Le Canada ne doit pas emprunter la pente dangereuse qui consiste à éroder des droits de la personne pour assurer la sécurité publique, comme l'ont fait d'autres pays, soutient l'organisme.

«Les menaces terroristes doivent impérativement être déjouées grâce à des mesures qui respectent les obligations internationales en matière de droits de la personne», a soutenu lundi le secrétaire général d'Amnistie internationale Canada, Alex Neve.

Le comité permanent de la sécurité publique et nationale, de la Chambre des communes, doit entendre à compter de mardi l'opinion de plus de 50 témoins sur le projet de loi du gouvernement conservateur.

Amnistie internationale soutient que le projet de loi C-51 et une nouvelle loi déposée l'automne dernier - qui accorderait au SCRS plus de protection de ses sources et des pouvoirs accrus pour espionner des étrangers - constituent la réforme la plus importante apportée depuis 2001 au pays en matière de sécurité nationale.

Le ministre Blaney

Le SCRS pouvait déjà mener des activités à l'étranger afin de contrer les menaces terroristes au pays, mais les nouvelles dispositions faciliteraient l'obtention de mandats pour mener de telles enquêtes. Le ministre de la Sécurité publique, Steven Blaney, a indiqué lundi, devant un comité sénatorial, que le projet de loi permettrait de suivre à la trace plus efficacement les Canadiens partis à l'étranger pour suivre un entraînement ou combattre aux côtés d'organisations terroristes.

Selon un rapport fédéral publié l'an dernier, le gouvernement savait que 130 personnes ayant un lien avec le Canada se trouveraient à l'étranger pour soutenir une activité terroriste, et que 80 d'entre elles seraient depuis rentrées au pays.

Même s'il l'avait déjà fait dans le passé, le directeur du SCRS, Michel Coulombe, a refusé lundi de mettre à jour ces chiffres, pour ne pas dévoiler d'informations sur le déploiement de ses agents. Il s'est contenté de dire que le nombre de Canadiens qui tentent de joindre les groupes terroristes à l'étranger augmente progressivement.

«On ne parle pas de milliers», a-t-il simplement admis.

Le ministre Blaney a abondé dans le même sens, indiquant qu'une telle divulgation exigerait que l'on détermine si ces personnes se trouvent à l'étranger ou s'ils sont au pays.

Le président du comité sénatorial de la sécurité nationale et de la défense, Daniel Lang, a cependant insisté auprès du ministre pour obtenir ces données, en plaidant que les Canadiens ont le droit de connaître au moins l'ampleur de la menace extrémiste venue de l'intérieur. La population serait ainsi plus encline à dénoncer aux autorités tout acte suspect, a soutenu le sénateur Lang.