Des mesures d'urgence disproportionnées, des météorologues qui s'excusent, le maire de New York ridiculisé... Le «blizzard historique» qu'on annonçait à New York n'a pas eu lieu, mettant le puissant service météorologique américain dans l'embarras. Les outils canadiens, eux, avaient pourtant bien prédit la tempête. Autopsie d'un flop.

Lundi soir dernier, New York. Les derniers habitants qui ne sont pas terrés à domicile font la queue devant les supermarchés pour faire le plein de provisions. Les autorités diffusent des messages quasi apocalyptiques à la population. La plus grosse ville des États-Unis rentre la tête pour affronter une tempête qu'on annonce historique.

Au nord de la frontière, au même moment, des météorologues canadiens commencent à froncer les sourcils. Au Téléjournal 18 h, sur les ondes de Radio-Canada, le météorologue Pascal Yiacouvakis met carrément en doute les prévisions américaines.

«Si vous me demandez ce que j'en pense... Je dirais plus de 30 à 40 cm à New York», dit-il, coupant pratiquement de moitié les prévisions de précipitation officielles du National Weather Service américain.

Il sera finalement tombé 15 cm de neige à Central Park - loin, très loin, des 65 annoncés. Comment le National Weather Service américain, avec ses 5000 employés, ses superordinateurs et son accès privilégié aux meilleures données de la planète, a-t-il pu se tromper à ce point ?

En gros, parce qu'il a fait face à une situation qui survient assez rarement : dans le cas précis de la ville de New York, les différents outils à sa disposition ne concordaient pas et pointaient dans toutes les directions. Confrontés à ces informations contradictoires, les météorologues américains ont fait les mauvais choix.

Quand les modèles se contredisent

Modèle américain, modèle canadien, modèle européen : plusieurs agences météorologiques dans le monde ont développé des outils pour tenter de prédire la pluie et le beau temps. Ils utilisent tous les mêmes données de départ : les valeurs de température, de pression, d'humidité et de vitesse des vents récoltés par les ballons météorologiques, les stations terrestres et les satellites en divers points du globe.

Ces données sont entrées dans des ordinateurs qui les brassent à coups de formules mathématiques pour prédire l'évolution de l'atmosphère. Ici, chaque modèle fait un peu les choses à sa façon.

Le National Weather Service dit utiliser au moins une demi-douzaine de modèles différents. Dans le cas de Juno, un nouveau modèle développé récemment aux États-Unis montrait que la tempête allait passer à l'est de New York pour foncer droit sur Boston, ne laissant qu'une vingtaine de centimètres sur New York. C'est aussi ce que montrait le modèle canadien.

Mais le modèle traditionnel américain prévoyait que la tempête frapperait New York de plein fouet. Le modèle européen, lui, pointait entre les deux.

M. Stark assure avoir regardé tous les modèles, y compris le canadien. Mais il apparaît clair que les prévisionnistes américains ont choisi de faire confiance à leur modèle traditionnel et au modèle européen. Et ils ont raté leur coup.

«Je n'étais pas dans leurs souliers, précise Pascal Yiacouvakis, de Radio-Canada. Mais quand j'ai vu que le modèle américain prédisait 60 cm et le modèle canadien, 20 cm, j'ai dit : oups. C'est rare de voir des disparités comme ça.» Il dit s'être méfié du modèle américain pour l'avoir vu surestimer des tempêtes par le passé.

Sur Twitter, le météorologue américain Gary Szatkowski s'est excusé auprès de la population. Son collègue David Stark, lui, justifie les décisions prises.

«Il y a eu plusieurs cas par le passé où la ville de New York s'est retrouvée paralysée pendant plusieurs jours parce que les mesures nécessaires n'avaient pas été prises. Dans ce cas-ci, la tempête est passée à 30 ou 40 milles [environ 50 à 65 km] de la ville. C'est très peu. Considérant que la météo est une science inexacte, je juge qu'il était préférable d'être trop prudent que pas assez.»

«Il va falloir mieux communiquer les incertitudes relatives aux prévisions météorologiques», a-t-il toutefois affirmé.

Dans tous les cas, les météorologues avertissent qu'il ne faut pas verser dans le patriotisme en affirmant que le modèle canadien a prouvé sa supériorité sur le modèle américain.

«Cette fois, il a été meilleur. La semaine prochaine, ce sera le contraire», dit André Cantin, météorologue à Environnement Canada.

Quelques facteurs qui expliquent le «flop» américain

L'océan

Le travail des météorologues a été compliqué par le fait que Juno a évolué dans l'océan Atlantique. On y trouve des bouées météorologiques, mais elles sont beaucoup plus espacées que les stations terrestres. Ce manque d'information a contribué à faire diverger les différents modèles de prévision.

Une tempête à «gradient serré»

Les tempêtes comme Juno qui frappent la côte Est des États-Unis sont souvent délimitées par une frontière très nette à l'ouest. À l'est de cette frontière, il neige beaucoup ; à l'ouest, beaucoup moins. C'est ce que les météorologues appellent une tempête à «gradient serré de précipitation». Cela rend le jeu des prévisions beaucoup plus difficile. Dans ce cas, cette frontière est passée juste à l'est de la ville de New York. À Long Island, à quelques dizaines de kilomètres du centre-ville, il est d'ailleurs tombé près de 60 cm de neige comme prévu.

New York est New York

André Cantin, d'Environnement Canada, souligne que les prévisions des météorologues américains étaient loin d'être mauvaises si on les regarde sur l'ensemble de la côte Est américaine. Le hic, c'est que leur point faible est tombé non pas sur un village perdu, mais bien sur New York, la plus grosse ville des États-Unis. Les mesures d'urgence excessives ont donc touché entre 10 et 15 millions de personnes. M. Cantin souligne cependant que ces mesures ont sans doute été utiles.

«On dirait qu'il ne s'est rien passé parce qu'il n'y avait personne sur les routes, fait-il remarquer. Mais sinon, on aurait peut-être vu des carambolages, des morts et des opérations de déneigement qui paralysent la ville.»

La politique

La controverse météorologique qui touche aujourd'hui New York s'ajoute à une série d'événements récents qui ont probablement mis le National Weather Service sur les dents. En 2011, l'agence fédérale avait annoncé des inondations importantes à New York en prévision de l'ouragan Irene, mais les dégâts avaient finalement été enregistrés plus au nord. Puis, en 2012, elle avait fait le contraire en minimisant la menace de l'ouragan Sandy. En novembre dernier, le gouverneur de l'État de New York, Andrew Cuomo, a accusé le National Weather Service de ne pas avoir prévu une importante tempête... alors qu'elle l'avait fait. Ceci a sans doute incité l'agence à être plus alarmiste que moins.