Journaliste permanente à Charlie Hebdo depuis 2013, Zineb El Rhazoui était en reportage au Maroc lorsque les deux frères Kouachi ont passé la porte des locaux du journal satirique, le 7 janvier, laissant 12 morts sur leur passage. «Ces gens sont en guerre pour avoir le dernier mot», dit-elle. La Presse l'a rencontrée en marge d'un point de presse qu'elle donnait à Montréal, hier.

Q Vous qualifiez la tuerie à Charlie Hebdo «d'acte de guerre». Pouvez-vous expliquer votre position?

R Pour moi et pour les autres journalistes de Charlie Hebdo, le message des intégristes est clair: en attaquant la rédaction de Charlie Hebdo à la kalachnikov, ils confirment qu'ils veulent imposer leur loi, y compris par les armes, y compris par le crime et y compris en France. Personne à la rédaction n'avait vu venir une telle attaque. Nous recevions des menaces, bien sûr, mais une attaque si meurtrière, si guerrière, c'était au-delà de l'imagination.

Au-delà de Charlie Hebdo, c'est la France dans ce qu'elle est qui a été attaquée. C'est la séparation des institutions et de la religion qui est attaquée: le droit au blasphème, la liberté d'expression, la liberté de la presse, la laïcité... C'est tout ça qui a été visé. C'est un acte qui visait à faire des morts et des blessés, bien sûr, mais aussi qui visait à terroriser beaucoup plus de gens. Il laisse un impact psychique beaucoup plus grand que l'acte en soi. Ces gens sont en guerre pour avoir le dernier mot.

Q Vous êtes critique à l'endroit des gens qui disent «oui, mais...», qui essaient d'expliquer ce qui s'est passé à Charlie Hebdo.

R Les «oui, mais...», c'est une chose qu'on a l'habitude d'entendre depuis longtemps à la rédaction à Charlie Hebdo. On le dénonce, mais on n'a pas été entendus. Ce mois-ci, tout ça s'est fini avec un crime, un attentat horrible, barbare.

Que fait-on face à un ennemi pareil, qui ne sévit pas qu'en France, mais au Nord Mali, au Niger, en Libye, au Nigeria, en Somalie, en Irak, en Syrie? Ce fondamentalisme, il est tentaculaire, il est partout, il est international. Face à une situation d'urgence pareille, est-ce qu'on peut continuer à dire «oui, mais» ? Je pense qu'il est important de choisir son camp, et de dire: «Il n'y a pas de négociation possible avec ceux qui s'allient, même à travers la complaisance passive, avec les terroristes, avec les criminels. Le camp qui garantit la liberté de débat, la liberté d'opinion, la liberté de la presse, ce n'est pas celui de ceux qui tuent.»

Q Que faites-vous des manifestations anti-Charlie Hebdo qu'on a vues dans différents pays après la tuerie?

R Ce qui est ironique, c'est que ces manifestations ont eu lieu dans des pays qui ne donnent pas le droit de manifester. En Algérie, au Yémen, en Iran... Essayez de manifester contre le gouvernement iranien pour faire valoir vos droits... Ce n'est pas permis. Vous serez battu, ou jeté en prison, ou tué. Mais manifester contre Charlie Hebdo, c'est permis! Le magazine n'est même pas en vente dans ces pays. Personne ne l'a vu.

La mauvaise image de la religion islamique, ce n'est pas Charlie Hebdo qui la donne, avec ses petits bonshommes jaunes, ses petits Mickey que pratiquement personne ne voit en dehors de la France, ou même en France, quand on sait que le tirage était inférieur à 100 000 exemplaires et que le magazine vivait des problèmes financiers graves... La pire caricature, elle vient de ces régimes. Ce sont ces gens-là qui participent à donner une mauvaise image de cette religion, de cette communauté.

Q Plusieurs musulmans et non-musulmans ont reproché à Charlie Hebdo de ridiculiser l'Islam...

R Les gens qui ne lisent pas Charlie Hebdo disent que le magazine attaque l'islam. Il suffit de regarder nos pages couvertures pour le voir: la majorité traite de la politique intérieure en France. Il suffisait de faire une page couverture sur l'Islam pour nous retrouver au coeur d'une polémique internationale.

Or, vivre dans une société laïque, c'est accepter que tous puissent s'exprimer, tous puissent vivre en paix. C'est accepter que les minorités, elles aussi, puissent vivre en paix, et non pas être ostracisées, comme elles le sont dans les régimes théocratiques du globe.

J'aime dire aux musulmans français: «Sans laïcité, vous devriez payer une dîme à l'Église catholique!» Plusieurs sont d'accord avec moi, mais ce sont souvent les représentants non élus de la communauté musulmane qu'on entend s'exprimer sur ce sujet dans les médias.