La cueillette de données personnelles et le profilage, de plus en plus étendus, bafouent les lois sur la protection de la vie privée. Et les services secrets doivent rendre des comptes.

Tel est le message d'une quarantaine de professeurs et d'intellectuels canadiens et d'une quinzaine d'associations et d'ONG, qui ont signé l'an dernier la «Déclaration d'Ottawa sur la surveillance de masse au Canada».

Les attentats récents en France et au Canada n'y changent rien, au contraire, affirme l'un des signataires, David Murakami Wood, professeur à l'Université Queens et au Canada Research Chair in Surveillance Studies. «Avant de prétendre exercer une surveillance généralisée, les services de renseignement devraient répondre à ces questions: pourquoi exercent-ils leurs pouvoirs actuels de façon incompétente; pourquoi échouent-ils à empêcher des attentats commis par des gens déjà intensément surveillés?»

Aux États-Unis et en Angleterre, les services secrets partenaires de la National Security Agency (NSA) américaine ont dû s'expliquer, notamment à un groupe d'étude de la Maison-Blanche, lequel a conclu que l'Agence était allée trop loin. Tout comme le rapport d'un avocat des droits de l'homme invité à se prononcer par les Nations unies.

«Parmi tous les pays en cause, c'est le Canada qui s'en est tiré le plus facilement, estime le professeur Murakami. Le gouvernement Harper ne s'est pas senti obligé de répondre aux critiques, même si le Centre de la sécurité des télécommunications a participé à la cueillette.»

Arbitrage des risques

«Les gens expriment une demande de sécurité importante, souligne pour sa part Benoît Dupont, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en sécurité et technologie. Mais si tout est surveillé et analysé par l'État, on se demandera si nos propos pourraient être mal interprétés et nous désigner potentiellement comme terroristes. La surveillance mur à mur risque donc d'entraîner l'autocensure. C'est l'inverse de ce que l'on cherche quand on manifeste pour la liberté d'expression et nos valeurs démocratiques.»

«Ça prend un débat pour déterminer ce qu'on est prêts à faire comme compromis, conclut le criminologue de l'Université de Montréal. On ne peut avoir le beurre et l'argent du beurre.»

Pour son collègue de l'École polytechnique José Fernandez, il est sans doute trop tard. «On peut déchirer sa chemise, mais c'est oublier que les données personnelles et ces technologies sont déjà utilisées à des fins commerciales sans nous le dire», souligne le professeur de génie informatique et génie logiciel, expert des cyberattaques.

«C'est moins problématique quand les agences gouvernementales de pays démocratiques s'en servent. On paye même des impôts pour qu'elles exercent une surveillance! La protection de la vie privée qu'on souhaitait est morte. Le monstre est sorti de la boîte. Tant qu'à vivre avec, autant qu'il soit utile.»