À la suite d'un jugement aux États-Unis, le ministère des Transports du Québec (MTQ) suspend l'utilisation d'un dispositif de sécurité qui peut transformer les glissières le long des autoroutes en véritables harpons. Au Bureau du coroner du Québec, on recense au moins deux accidents mortels où des véhicules se sont empalés sur des glissières. Ces équipements pourraient-ils en être responsables?

Aux États-Unis, le 20 octobre dernier, un tribunal du Texas a condamné pour fraude Trinity Industries, l'un des principaux fabricants de glissières de sécurité en Amérique du Nord. Un ancien compétiteur accusait l'entreprise d'avoir modifié sans en aviser les autorités le design de son dispositif d'extrémité, baptisé ET-Plus. Après un long procès, un jury a condamné l'entreprise à verser 175 millions de dollars au dénonciateur et au gouvernement. En vertu d'une loi fédérale sur les délateurs, cette peine sera triplée. Trinity Industries a d'ores et déjà annoncé son intention de porter la décision en appel.

Le dispositif ET-Plus, homologué au Québec depuis juin 2002, sert à absorber l'énergie dégagée lors d'impacts, tout en éloignant la glissière du véhicule qui la percute. En réduisant la taille de son système, Trinity Industries en aurait toutefois diminué l'efficacité, si bien que de nombreux véhicules ont fini par s'empaler sur les glissières. L'instigateur de la poursuite, Joshua Harman, affirme qu'une vingtaine de pertes de vie aux États-Unis sont liées à ce dysfonctionnement.

À la suite du jugement, le MTQ «a décidé par précaution de retirer l'homologation du système ET-Plus et de suspendre toute installation sur le réseau», a confirmé à La Presse un porte-parole, Martin Girard. 

Les dispositifs actuellement en stock ne pourront être utilisés et les entrepreneurs sur les chantiers en cours devront trouver un autre système pour assurer la sécurité des glissières. Fait à souligner, le MTQ venait tout juste d'accorder une autre homologation à une variante du système, le 15 septembre dernier. Ce nouveau produit est lui aussi visé par la suspension.

Au total, on recense 4500 dispositifs ET-Plus utilisés en ce moment sur le réseau autoroutier québécois. Certains d'entre eux seront testés pour vérifier leur fonctionnement. 

«On va procéder à des audits pour s'assurer de la qualité des installations et de leur performance», a indiqué M. Girard. La suspension de l'homologation du MTQ sera en vigueur tant que le système ET-Plus n'aura pas subi de nouveaux tests auprès de la Federal Highway Administration. 

Deux cas au Québec

Le Bureau du coroner du Québec a retracé deux accidents mortels dans lesquels une glissière a empalé un véhicule. Les rapports ne détaillent toutefois pas si un dysfonctionnement du dispositif d'extrémité est responsable. 

Le premier cas est survenu alors qu'une tempête soufflait, le 23 décembre 2010. Un jeune conducteur de 23 ans circulait sur l'autoroute 10, à Carignan, quand il a perdu le contrôle de son véhicule. La glissière s'est « littéralement encastrée dans l'avant du véhicule et, sur son passage, a arraché le tableau de bord et le volant ». Il a fallu près d'une heure aux pompiers pour extirper la victime, écrasée sous la ferraille.

Le deuxième cas recensé au Québec est survenu le matin du 10 septembre 2013. Un jeune conducteur de 21 ans filait à plus de 120 km/h sur le boulevard Labelle, à Saint-Jérôme, quand il a perdu le contrôle de sa voiture sur la chaussée couverte d'eau de pluie. Le véhicule a dérapé et embouti le début de la glissière de sécurité qui s'est prise dans l'aile arrière. Après avoir brisé huit pièces de bois retenant la glissière, l'automobile est tombée sur le côté dans un fossé abrupt. Le jeune conducteur était en arrêt cardio-respiratoire quand les ambulanciers l'ont transporté à l'hôpital.

Banni dans plusieurs États

Le MTQ n'est pas le seul à remettre en question ce dispositif de sécurité. Avant même qu'un tribunal texan ne condamne Trinity Industries, les États du Missouri et du Massachusetts ont été les premiers à bannir ce produit, exigeant des tests supplémentaires pour assurer la sécurité du dispositif. 

Depuis le jugement, des dizaines d'autres États ont décidé d'en suspendre l'utilisation et de réviser la sécurité des dispositifs en place. 

La Federal Highway Administration, qui est à réévaluer l'efficacité du produit, a demandé à tous les États de lui communiquer les résultats d'enquêtes menées sur de possibles dysfonctionnements du dispositif de sécurité.