Le journalisme est parfois synonyme de mauvaises nouvelles, mais il peut aussi être le révélateur de solutions ingénieuses aux problèmes de notre temps. Dans le cadre de l'Impact Journalism Day, des journaux de partout sur la planète sont partis à la recherche de ces innovations. En voici deux.

40 journaux partagent des initiatives positives

Nous sommes informés de tous les problèmes du monde et cette omniconscience nous fait peur, nous angoisse. Pis encore, elle nous anesthésie.

Pourtant, il existe de plus en plus d'hommes et de femmes, d'entreprises, d'universités, d'organisations dont les projets améliorent la marche du monde. L'entrepreneuriat social et, plus largement, l'innovation sociale ont d'ailleurs le vent en poupe.

Si les médias ont le devoir de nous alerter, le temps où «tourner la plume dans la plaie» suffisait est révolu. Les journalistes veulent contribuer en relayant plus souvent les réponses aux problèmes. Ainsi, ils redonnent espoir, inspirent et génèrent plus d'impact.

Qu'est-ce que l'Impact Journalism Day?

Aujourd'hui, pour le deuxième Impact Journalism Day, une quarantaine de journaux, chefs de file du monde entier, dont La Presse, ont répondu à notre appel et publient un supplément consacré aux initiatives concrètes et positives. Nous avons mis en commun les deux ou trois articles de chaque journal pour que chacun puisse composer son supplément en choisissant parmi une centaine d'histoires. Dans quelques jours, nous réunissons ces rédacteurs en chef à Paris pour réfléchir aux moyens d'aller encore plus loin tous ensemble.

Des histoires qui inspirent

Lors de l'édition précédente de l'Impact Journalism Day, une lectrice a fait lire à son mari l'article sur les lunettes ajustables (des lunettes à 4 $ s'adaptant à toutes les vues grâce à un système de doubles verres). Or, son mari était l'un des responsables d'une entreprise mondiale de verres pour lunettes. Il a donc rencontré ces inventeurs et ils ont commencé à tester un projet pilote en Inde qui pourrait avoir des répercussions sur des dizaines de millions de pauvres.

- Christian De Boisredon, Sparknews

Robinet intelligent pour lutter contre le gaspillage

Mustapha Lakhdari est ingénieur en travaux publics. Il se définit comme un homme «passionné» par le développement de logiciels et de systèmes électroniques. Et sa passion embrasse au passage les concours scientifiques et techniques. En 2010, il a participé au concours Imagine Cup de Microsoft avec une solution d'économie d'eau.

Son projet consiste à mettre un compteur à la sortie de chacun des robinets d'une maison pour afficher la consommation en temps réel. À chaque utilisation, les mesures de consommation de tous les robinets sont transférées sans fil vers un appareil de stockage doté d'un logiciel d'analyse des données de consommation. Le dispositif sert à indiquer à l'utilisateur combien d'eau il a consommée, à quelle heure et à partir de quel robinet. «Ces statistiques détaillées vont aider l'utilisateur à faire l'économie de l'eau parce que le vrai problème est que l'on ne sait pas où on a consommé plus d'eau, à la cuisine, à la salle de bains, etc.», explique M. Lakhdari.

En plus de la consommation réelle, le logiciel permet de déterminer le niveau de la consommation idéale (ex.: 40 litres par jour à la cuisine). La consommation idéale est calculée en fonction de plusieurs paramètres, dont l'âge et le nombre de personnes dans le ménage, l'emplacement du robinet (douche, lavabo...) et la situation géographique (le pays et la région). L'idée pourrait s'avérer des plus utiles en Algérie, pays touché de plein fouet par le stress hydrique.

La septième place obtenue à l'«issue du concours de Microsoft a donné du courage à notre jeune inventeur qui se bat quotidiennement pour concrétiser son projet. En juin 2013, il crée une petite entreprise spécialisée dans les services de l'eau, Goutra (goutte), et essaie d'avancer sur le développement du prototype du robinet intelligent. Mustapha et son "équipe d'amis" devraient finir le prototype vers novembre 2014. Ils y travaillent en collaboration avec une société algérienne spécialisée dans les parties électroniques. Mais le projet a besoin d'autres partenaires pour aller à la phase de production.

L'avenir dans le prix de l'eau

Pour ce qui est de la concurrence, le jeune inventeur a ses raisons pour ne pas trop s'inquiéter devant les solutions existantes sur le marché ou seulement en brevets. À la différence de son projet, les systèmes de mesure de consommation en temps réel existants mettent le compteur avant le robinet. Ces solutions «ne sont pas très efficaces. Elles ne mesurent que la consommation globale du ménage, alors qu'il est important de savoir si on a consommé deux ou quatre litres d'eau pour se laver les mains».

Et ce n'est pas tout. La plupart des solutions existantes sont basées sur le principe de la limitation du débit pour freiner la consommation. Le robinet intelligent, quant à lui, ne limite rien. Il donne juste la possibilité au consommateur de contrôler sa consommation en lui fournissant des renseignements détaillés. «Théoriquement, la solution permettrait de faire entre 30 et 80 % d'économies d'eau, mais sur le terrain, cela dépend du comportement des gens», avance Mutsapha, prudent. Pour lui, il faut responsabiliser le consommateur.

Le concept commence à séduire. Goutra est en contact avec deux clients potentiels basés à l'étranger. Des organismes publics, dont le ministère des Ressources en eau, ont affiché leur disponibilité à accompagner le projet sur le plan communication. Cet intérêt s'explique par le fait que les sociétés de gestion d'eau au niveau des villes communiquent toujours sur le thème de l'économie de l'eau. En attendant du concret, Mustapaha n'a pas omis de protéger son invention en l'enregistrant à l'Institut national de la propriété industrielle (INAPI). La même démarche est engagée auprès d'organismes européens et américains.

L'avenir du robinet intelligent en Algérie dépend du prix du mètre cube d'eau. «Quand la facture d'eau sera plus lourde, les Algériens vont chercher des solutions pour faire des économies», affirme l'inventeur.

- Farouk Djouadi, El Watan

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La présentation du projet en anglais: http://goutra.wordpress.com/

La démo en 3D: http://www.youtube.com/watch?v=Miur_LeMEOY

La présentation du projet en français: http://frgoutra.wordpress.com/solution/

Pour joindre le journaliste: farouk.djouadi@gmail.com





Des Suisses inventent l'assurance sécheresse

Une société suisse propose d'assurer les paysans d'Éthiopie contre la sécheresse. Six mille d'entre eux ont d'ores et déjà souscrit une police d'assurance pour la somme de 4 euros par an. Comment cela fonctionne-t-il dans un pays où personne ou presque ne sait ce qu'est une assurance?

La sécheresse est la bête noire d'Ararso Wolsene, paysan d'Éthiopie. Elle fait mourir ses cultures et affame sa famille. Elle lui fait perdre sa principale source de revenus, elle l'oblige à abattre ses bêtes. Certains paysans se voient contraints de déscolariser leurs enfants, n'ayant plus de quoi régler les droits de scolarité. Dans certains cas, la migration est la seule option.

Pour parer à ce type de fléaux, la société suisse CelsiusPro a lancé en 2013 une offre à destination des paysans en leur proposant de les assurer contre la sécheresse. Le principe en est simple: CelsiusPro trace une grille sur la carte du pays et mesure les précipitations à l'aide de satellites météorologiques américains. Le paysan verse à la compagnie l'équivalent de 4 euros pour une police d'assurance annuelle, soit la moitié de ce qu'il gagne en un mois. En échange, CelsiusPro s'engage à lui rembourser les dégâts causés par l'absence de pluie. Si le Sato Luku - la région où vit Ararso Wolsene - reçoit moins de 43 millimètres d'eau, son contrat d'assurance lui garantit une indemnisation. Plus les précipitations seront faibles, plus il sera indemnisé, jusqu'à un montant maximal de 20 euros.

« Cela n'a pas été une mince affaire de convaincre les paysans, concède Teresa Schorstein, de CelsiusPro. Il a fallu leur expliquer ce qu'était une assurance avant de leur expliquer comment la nôtre fonctionnait. » Le monde de l'assurance, que ce soit dans le domaine de la santé, de la vie ou de la propriété - sans parler de la pluie -, est une terra incognita dans de nombreux pays africains.

Les paysans n'ont jamais non plus entendu parler de satellites, qui leur sont présentés comme « des caméras installées très haut dans le ciel » pendant les cours d'initiation, qui ont souvent lieu au milieu des champs, à l'ombre des arbres. Les paysans ont d'abord été sceptiques: que se passe-t-il si les mesures sont erronées? Combien de temps faut-il attendre avant de toucher l'argent? Comment se passe l'indemnisation? « En général, il y a un chef dans le village, et c'est lui qu'il faut convaincre », poursuit Teresa Schorstein.

Comme la plupart des paysans d'Éthiopie sont analphabètes, l'entreprise ne pouvait pas distribuer de brochures ou de prospectus et a dû imaginer des jeux de rôle à la place. « Nous divisions les paysans en deux groupes - les assurés et les autres - et nous simulions ensuite une situation de sécheresse », explique Teresa Schorstein. Les paysans assurés recevaient de l'argent, les autres devaient abattre leurs bêtes et partir dans des camps de réfugiés.

« À l'heure actuelle, la vente des polices d'assurance et le versement des indemnisations nous reviennent cher, reconnaît Mark Rüegg, fondateur et directeur général de CelsiusPro. On est obligés de se déplacer dans les villages pour vendre les polices et d'y retourner ensuite pour les indemnisations. » L'objectif est donc d'automatiser ce processus, et CelsiusPro collabore pour ce faire avec des compagnies de téléphonie locales. À l'avenir, les souscriptions comme les versements se feront sur mobile.

Assurance contre le mauvais temps

Mark Rüegg est un ancien banquier d'affaires responsable du forex (marché des changes) chez UBS Londres. Un jour, il s'est fait la réflexion suivante: « Si l'on peut s'assurer contre les risques de change, pourquoi pas contre le mauvais temps? » C'est avec cette idée en tête qu'il fonde CelsiusPro en 2008, ciblant au départ les PME suisses. Ainsi, lorsque la station de sports d'hiver d'Arosa garantit le remboursement au cas où le nombre de journées skiables tombe sous les 60 jours, CelsiusPro est de la partie. Lorsque les organisateurs d'un événement en plein air cherchent à assurer leurs arrières en cas de mauvais temps, CelsiusPro entre en scène. Si un fournisseur d'électricité s'inquiète d'un hiver rigoureux, il appelle CelsiusPro.

En 2012, le ministère de l'Agriculture d'Éthiopie et une organisation non gouvernementale japonaise ont planché ensemble sur une solution destinée aux paysans touchés par le manque d'eau. Des périodes de sécheresse récurrentes menaçaient leurs moyens de subsistance. Quelque 60 millions de personnes, soit près de 80 % de la population éthiopienne, dépendent de l'agriculture pour vivre. Le ministère de l'Agriculture a donc communiqué avec CelsiusPro, numéro un mondial de la prévision des risques météorologiques. En collaboration avec des assureurs locaux et la compagnie de réassurance Swiss Re, CelsiusPro a imaginé un produit qui permet aux Éthiopiens d'être moins vulnérables face à la sécheresse. « En plus d'avoir des avantages humanitaires, le produit devait être rentable, reconnaît Mark Rüegg. C'était la condition sine qua non de la pérennisation du projet. » CelsiusPro facture des frais de consultation et prélève une commission pour chaque police vendue.

Les paysans éthiopiens deviennent progressivement plus réceptifs. À l'heure actuelle, 6000 paysans de 45 villages - ou « kebeles » - ont souscrit une police d'assurance. Le projet a démarré avec 1300 paysans de 15 kebeles. Mark Rüegg cherche à étoffer sa clientèle, et des négociations sont en cours pour lancer des projets analogues au Nigeria et au Bangladesh.

Ararso Wolsene a reconduit son contrat pour un an, même s'il a suffisamment plu l'année dernière et qu'il n'a donc pas dû être indemnisé. « J'ai gagné en qualité de vie, assure-t-il, parce que je sais que, même s'il ne pleut pas, je suis assuré et que, quoi qu'il arrive, je pourrai nourrir ma famille. »

- Christian Zürcher, Tages-Anzeiger

PHOTO ERIC HOLTHAUS, COLLABORATION SPÉCIALE

La souscription à l'assurance et les versements sont faits à l'aide d'un téléphone portable.

Comment participer?

Aujourd'hui, vous êtes 100 millions de lecteurs à découvrir ces histoires de l'Impact Journalism Day. Imaginez si chacun de vous les partageait autour de lui? Choisissez une histoire et racontez-la à vos enfants, à vos collègues, à vos amis. Devenez, vous aussi, des passeurs d'espoir en inspirant les autres. Participez aussi au concours de selfies en postant une photo de vous avec votre journal pour promouvoir le journalisme de solutions (#ImpactJournalism @sparknews et #lapresseplus et @lP_lapresse sur les réseaux sociaux et notamment celui d'AXA, notre partenaire fondateur: facebook.com/AXAPeopleProtectors Aidez-nous aussi à résoudre les défis des porteurs de projets en participant à des brainstormings: www.sparknews.com/ijd/makesense Enfin, vous pouvez suggérer des projets à médiatiser dans les prochains Impact Journalism Day: www.sparknews.com/ijd/

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