Seulement deux mois après la mise en vigueur de la loi antipourriel, le CRTC a reçu une avalanche de 108 000 plaintes de Canadiens ulcérés de recevoir encore des courriels indésirables, a appris La Presse.

En vertu de la loi antipourriel, il n'est plus permis d'envoyer de message électronique commercial à moins d'avoir obtenu au préalable le consentement au moins tacite des destinataires.

Si de lourdes amendes sont prévues à la loi - un million pour une personne physique et 10 millions pour une entreprise -, aucune sanction n'a encore été imposée.

«Plusieurs enquêtes sont en cours et le CRTC annoncera les résultats de ces dernières en temps et lieu. Elles pourraient inclure des sanctions administratives pécuniaires», a fait savoir Éric Rancourt, porte-parole du CRTC.

Le CRTC juge chaque cas en tenant compte de plusieurs facteurs, notamment la nature de la violation, les antécédents relativement à l'application de la Loi, l'avantage financier tiré de la violation de la loi et la capacité de chacun à payer une amende.

Il n'a pas été possible de savoir du CRTC combien de personnes travaillent au traitement des 108 000 plaintes, mais Éric Rancourt assure que «d'anciens agents de la GRC, des enquêteurs d'expérience et des spécialistes de l'investigation numérique» sont à pied d'oeuvre.

Trois organismes se partagent le travail: le CRTC, le Bureau de la concurrence et du Commissariat à la vie privée.

Ignorance de la loi

Vers le 1er juillet, les entreprises étaient nombreuses à envoyer des courriels aux internautes, leur demandant l'autorisation de continuer à leur envoyer des courriels. Depuis lors, ces demandes se font plutôt rares.

Simon Gaudreault, économiste principal à la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, relève que les PME sont encore très peu au courant de la loi et des obligations qui en découlent.

«Ce que l'on comprend de ce que nous dit le gouvernement, c'est que sa priorité n'est pas de viser les PME, mais bien les gros fournisseurs de pourriels. Dans les premiers temps, il semble qu'on part à la chasse au gros gibier!»

De fait, dans sa description, la loi précise que l'objectif de la loi est de «dissuader l'envoi au Canada de pourriels sous leurs formes les plus dangereuses et trompeuses, comme l'usurpation d'identité, l'hameçonnage et les logiciels espions».

Pour l'heure, plusieurs entreprises semblent tenir pour acquis qu'elles jouissent d'une période de grâce et que d'ici 2017, elles ne s'exposent qu'à de simples avertissements.

Sérieuses réserves

Sur le site internet gouvernemental consacré à la loi, il est indiqué que les entreprises ont 36 mois pour obtenir le consentement de leurs clients, mais que cette période de grâce prend fin «si et quand le destinataire indique qu'il ne consent plus à recevoir vos messages commerciaux électroniques».

Éric Rancourt, porte-parole du CRTC, précise que le CRTC peut bel et bien distribuer lui-même des amendes depuis le 1er juillet. Cependant, «la nouvelle loi prévoit également que les citoyens peuvent présenter des causes devant les tribunaux civils, mais pas avant 2017».

Pierre Trudel, professeur titulaire au Centre de recherche en droit public de la Faculté de droit de l'Université de Montréal, continue d'avoir de sérieuses réserves à l'égard de cette loi antipourriel. «C'est le genre de loi que l'on promulgue à des fins symboliques et qui n'a pas d'effet significatif», dit-il.

«Il n'y a aucun indice donnant à penser que le gouvernement canadien s'est entendu avec d'autres pays pour qu'ils l'aident à mettre la loi antipourriel en application, souligne Me Trudel. En conséquence, j'ai beaucoup de doutes sur la capacité de cette loi à s'en prendre à des entreprises étrangères. Ce serait très cher.»

Pour Me Trudel, cette loi risque surtout à terme de nuire aux PME québécoises qui seront limitées dans leur marketing, alors que les plus gros volumes de courriels proviennent de l'étranger.

- Avec William Leclerc