Elles s'appellent Ève Laflamme et Marylie Savoie. Enfin, c'est ainsi qu'elles se font appeler lorsqu'elles se prostituent. Mais qu'importe leur véritable nom ; elles ouvrent une rare fenêtre sur le monde très hermétique de la prostitution au Québec. Malgré le tabou, malgré les débats virulents qui entourent leur métier, elles ont le courage de se confier à visage découvert. Elles ne prétendent pas représenter toutes les prostituées, mais revendiquent leur droit de vivre comme elles l'entendent.

ÈVE LAFLAMME 38 ANS 

Escorte indépendante depuis six ans. D'abord danseuse nue, elle est devenue escorte pour diverses agences avant de se lancer à son propre compte. Elle lutte contre sa dépendance à l'alcool. Très instable, elle parvient à retrouver une certaine sérénité à travers la méditation.

MARYLIE SAVOIE 24 ANS

Escorte indépendante depuis deux ans. Elle a commencé dans le métier pour rembourser ses dettes, après avoir fait une surdose. D'abord abolitionniste, elle a changé son fusil d'épaule et milite maintenant pour la décriminalisation de la prostitution. Toujours féministe.

La chasse aux clients pervers

Cet automne, le gouvernement conservateur adoptera une loi qui permettra, espère-t-il, d'éradiquer la prostitution au Canada. Le point sur cette initiative controversée.

QUE PROPOSE LE GOUVERNEMENT FÉDÉRAL ?

L'objectif d'Ottawa est clair : il veut rendre la prostitution illégale en criminalisant les clients, que le ministre de la Justice, Peter MacKay, a qualifiés de « pervers ».

POURQUOI OTTAWA LÉGIFÈRE-T-IL ?

En fait, il n'avait pas le choix : en décembre 2013, la Cour suprême a invalidé trois dispositions du Code criminel qui interdisent la sollicitation, le proxénétisme et la tenue d'une maison de débauche. Parce qu'elles poussaient des femmes vulnérables à la clandestinité et les exposaient à la violence et même au meurtre, ces dispositions étaient incompatibles avec la Charte canadienne des droits et libertés.

COMMENT LE GOUVERNEMENT A-T-IL RÉAGI ?

Le gouvernement avait un an pour répondre au jugement unanime et historique de la Cour suprême. Or, il ne s'est pas contenté de proposer quelques ajustements législatifs. Il en a profité pour emprunter le chemin tracé par la Suède et la France, deux pays résolument abolitionnistes, qui s'attaquent à la demande dans l'espoir de tarir l'offre de prostitution.

QUE RISQUERONT LES CLIENTS ?

L'achat de services sexuels sera punissable d'une peine de 18 mois à 5 ans de prison. Les clients devront aussi payer une amende de 500 $ à la première infraction, puis de 1000 $ pour les infractions suivantes. Ces amendes seront doublées si l'infraction est commise près d'un parc, d'une école ou même... d'un établissement religieux.

COMMENT LE PROJET DE LOI A-T-IL ÉTÉ ACCUEILLI ?

Avec colère par les femmes qui militent pour la décriminalisation complète de la prostitution, et avec réserve par les abolitionnistes, qui vantent pourtant les mérites du modèle suédois. La loi, déplorent ces dernières, continuera à criminaliser les prostituées en leur interdisant d'offrir des services sexuels près d'une garderie, d'une école ou d'un terrain de jeu.

LA LOI SERA-T-ELLE CONTESTÉE DEVANT LES TRIBUNAUX ?

Fort probablement. De nombreux experts estiment que la nouvelle loi contreviendra aussi à la Charte canadienne des droits et libertés ; en criminalisant les clients, elle risque de maintenir les prostituées dans la clandestinité. Malgré tout, le gouvernement Harper maintient le cap. Il y a fort à parier que la Cour suprême devra à nouveau se pencher sur la question dans une dizaine d'années...