Dans un Salon rouge bondé comme jamais, et avec une manifestation de syndiqués en bruit de fond, les maires Régis Labeaume et Denis Coderre ont demandé au gouvernement Couillard de ne pas céder à la grogne syndicale contre le projet de loi 3 sur les régimes de retraite des employés municipaux.

Les consultations sur cette pièce législative ont débuté mercredi, deux jours après les débordements survenus à l'hôtel de ville de Montréal. Chose rare, la commission parlementaire a fait salle comble.

Des syndiqués ont été refoulés à la porte du Salon rouge faute de places. Des mesures de sécurité plus importantes que d'habitude ont été mises en place, alors qu'une manifestation de la Coalition syndicale pour la libre négociation a lieu devant l'Assemblée nationale. On entendait les manifestants au Salon rouge durant le passage des maires Labeaume et Coderre.

« Le statu quo est intenable. La capacité de payer des contribuables a atteint ses limites », a plaidé le maire de Montréal. Selon lui, le projet de loi 3 est nécessaire pour assurer la survie des régimes de retraite.

Denis Coderre a fait valoir que le coût des régimes de retraite à Montréal a quadruplé depuis 2002 pour atteindre 550 millions de dollars. C'est 12% du budget de la Ville.

« Les dernières semaines ont été mouvementées, ça a brassé », a affirmé M. Coderre en faisant allusion aux dérapages survenus à l'hôtel de ville lundi soir. « Mais l'heure est venue de travailler ensemble » et « ma porte est toujours ouverte à la négociation », a-t-il ajouté. Il a toutefois indiqué plus tard que « jamais au grand jamais on ne va céder aux gros bras ».

« Je demande au gouvernement de ne pas dévier de sa route et de garder le cap », a dit de son côté Régis Labeaume, qui fait de l'enjeu des retraites son cheval de bataille lors des dernières élections municipales. « Les Québécoises et les Québécois nous surveillent et se demandent si, pour une fois, l'intérêt général de la population passera avant les intérêts corporatistes. Il est clair pour moi que toute modification importante au projet de loi 3 se fera au détriment des contribuables du Québec qui en paieront la facture », a-t-il soutenu.

Selon lui, le système actuel est « totalement immoral et insoutenable ». « Il n'est pas normal qu'une majorité des contribuables aient à payer les avantages financiers d'une minorité », a-t-il dit. « Loin de moi l'idée d'ostraciser les syndicats mais force est d'admettre que le balancier penche beaucoup trop du même côté. Je l'ai dit et je le répète : je suis un social-démocrate en colère qui cherche à rétablir ou à remettre de l'équité dans le système. »

Il a cherché à déboulonner des « mythes » qui sont véhiculés selon lui par les syndicats. Il est « purement jovialiste » de croire que les déficits se résorberont grâce aux rendements boursiers. À 600 millions, les déficits des régimes de retraite de la ville de Québec a augmenté de 20% en trois ans alors que les rendements correspondaient aux attentes. C'est l'augmentation de l'espérance de vie qui est « désastreuse » sur la capitalisation des caisses, a-t-il dit. Il a indiqué que la Ville de Québec n'a pas pris de congés de cotisations - sauf pour une courte période à Sainte-Foy. Il a plaidé que les employés n'ont pas accepté de moins bons salaires contre des régimes de retraite plus généreux. Cet argument est « indécent », selon lui, dans la mesure où la rémunération totale des employés municipaux dépasse de 37,9% celle des fonctionnaires du gouvernement du Québec - 18,3% si l'on tient compte seulement des salaires. Il a également fait valoir que des retraités gagnent plus d'argent qu'au moment où ils travaillaient. Selon M. Labeaume, la possibilité de suspendre l'indexation automatique des rentes ne durerait pas longtemps contrairement à ce que laissent entendre les syndicats. Un maximum de six ans serait nécessaire à Québec, et cette mesure ferait fondre les déficits de moitié. Denis Coderre croit aussi que la mesure aurait le même effet à Montréal . À Québec, les cols bleus et les cols blancs ont déjà accepté la suspension de l'indexation en vertu d'ententes, a souligné M. Labeaume.

Ces ententes ne prévoient rien au sujet des déficits passés. Le partage à parts égales de ces déficits entre les travailleurs et les municipales est nécessaire parce que jamais les syndicats ne voudront négocier sur ce sujet, a dit M. Labeaume. « Il faut arrêter que le contribuable paie plus que l'employé lui-même ».

Régis Labeaume et Denis Coderre jugent que les dispositions du projet de loi 3 devraient également s'appliquer aux élus municipaux.

Le président du comité d'experts sur l'avenir du système de retraite québécois, Alban D'Amours, qui a déposé son rapport en avril 2013, a donné son appui au projet de loi 3. « Il ne faut pas attendre la prochaine crise financière pour agir », a-t-il dit, une éventualité qui mettrait à risque les pensions elles-mêmes. « Le statu quo n'est pas une option. Il y a urgence d'agir », a martelé l'ancien président du Mouvement Desjardins.

Certes, les conditions des régimes de retraite ont été fixées en vertu d'ententes négociées et les syndiqués ont l'impression qu'on veut leur enlever des droits acquis. Mais les coûts des régimes se sont avérés beaucoup plus importants que prévu au moment des négociations, a plaidé M. D'Amours. « Ce n'est pas la faute de personne», c'est dû aux changements démographiques, a-t-il dit.

Selon lui les « ajustements » prévus au projet de loi sont « nécessaires pour préserver le plus important des acquis : le régime de retraite à prestations déterminées ».

Il reprenait ainsi un discours tenu un peu plus tôt par le ministre des Affaires municipales, Pierre Moreau. Les régimes ont été définis « à une époque marquée par une croissance économique soutenue, des rendements importants et une espérance de vie moins longue ». « Il n'y a plus que trois travailleurs pour chaque retraite, un nombre qui tend à diminuer encore », alors que c'était 17 contre un il y a 20 ans. « Il faut aller de l'avant (avec le projet de loi) pour la sécurité de nos retraités, pour la retraite de nos travailleurs et pour ne pas laisser à nos enfants un problème que nous refusons de voir et de régler », a soutenu le ministre.

Pour Alban D'Amours, on ne peut demander aux Québécois de revoir leur plan de retraite, d'épargner davantage, de travailler plus longtemps et en même temps les faire payer pour maintenir à flot des régimes de retraite qui eux ne changent pas, a-t-il plaidé. « Le coût de ne rien faire sera considérable. Et celui qui va payer, ce n'est pas celui qui est responsable, c'est le citoyen. »

La santé financière des régimes s'est améliorée dans les dernières années en raison d'une meilleure performance des marchés financiers. Mais il est illusoire de penser qu'une embellie financière réglera tous les problèmes, estime M. D'Amours. « Les causes sont trop profondes pour que le problème se règle de lui-même. » Les régimes dépendent trop des rendements à ses yeux.

Le projet de loi 3 vise 172 régimes de retraite dans les municipalités qui, dans l'ensemble, affichent un déficit accumulé de 3,9 milliards de dollars. «C'est le résultat de plusieurs années de laisser-faire », alors que, de façon « imprudente », des bonifications « importantes » ont été apportées aux régimes au fil des ans et que les municipalités ont pris des congés de cotisations, a indiqué Pierre Moreau. Il prévoit le partage à parts égales entre les travailleurs et les municipalités des déficits présents, futurs mais aussi passés - ce que dénoncent les syndicats.

Il limite à 18% de la masse salariale le total des contributions des employés et des employeurs pour l'avenir. Dans le cas des policiers et des pompiers, dont les régimes sont plus généreux, ce plafond est porté à 20%. Denis Coderre demande que cette mesure temporaire soit permanente, une idée à laquelle Pierre Moreau a montré des réticences.

Toujours selon le projet de loi, les villes doivent mettre en place un «fonds de stabilisation» afin de protéger les régimes des soubresauts financiers. Ce fonds correspondra à 10% des cotisations annuelles. Le projet de loi prévoit également que la possibilité de suspendre l'indexation automatique des rentes - une indexation qui est responsable d'une bonne part des déficits, a souligné le ministre Pierre Moreau. Cette mesure devrait être de dernier recours, si un régime est très mal en point, selon Alban D'Amours.

Le projet de loi prévoit un an de négociations à compter de janvier 2015. Si les parties ne s'entendent pas, un arbitre interviendrait, et sa décision serait sans appel.

Le Parti québécois accuse le gouvernement Couillard d'être intransigeant, ce qui « a amené beaucoup de tension, ça a mené, comme on l'a vu (lundi), à des débordements qui sont très malheureux et qu'on dénonce », a dit le député Alain Therrien. Le projet de loi que le PQ avait déposé avant de perdre le pouvoir ne contenait pas plusieurs des mesures prévues dans la pièce législative libérale.

La Coalition avenir Québec appuie le projet de loi 3, mais elle estime que les députés doivent donner l'exemple. Elle déposera un projet de loi cet automne pour que les élus contribuent davantage à leur régime, a indiqué le député caquiste Mario Laframboise. À l'heure actuelle, la part des députés ne représente que 20% des coûts du régime. Ils devraient contribuer à hauteur de 50%, comme le gouvernement le demande dans le cas des employés municipaux, selon M. Laframboise. Le premier ministre Philippe Couillard a déjà fait savoir qu'il veut revoir le régime de retraite des députés. À l'automne 2013, un comité de sages présidé par l'ex-juge de la Cour suprême du Canada, Claire L'Heureux-Dubé, avait conclu que ce régime est une « Ferrari » et doit être modifié.