La scène se passe le 12 février dernier, dans les bureaux de la Fondation Paul Gérin-Lajoie, à Montréal. C'est une réunion du conseil d'administration de l'organisme, et son président, François Gérin-Lajoie, se fait taper sur les doigts parce qu'il a fait exploser son budget de voyages.

Le dépassement pourrait atteindre 50 000 $, se plaignent les administrateurs. Ils s'opposent à «cette façon de procéder» et exigent que, dorénavant, tout «dépassement soit préapprouvé».

Mais le fils du fondateur de cette ONG de coopération internationale se fait rassurant. Le dépassement de coûts n'est pas grave, il sera couvert par un don testamentaire de 62 500 $...

Cet échange, tiré d'un document interne de la Fondation, est représentatif de la crise qui déchire ce fleuron de la coopération internationale québécoise, qui vit principalement de subventions gouvernementales et de dons publics.

Crise qui a conduit au congédiement de la directrice générale Nadja Pollaert, la semaine dernière, et à la démission en bloc de trois membres du conseil d'administration, indignés par cette décision.

Celle-ci a été causée par une «impasse» avec le président, selon le vice-président du C.A., Michel Agnaïeff, qui ne doute pas de la compétence de Mme Pollaert.

«Je disais blanc, elle disait noir, ça n'a jamais marché entre nous», explique François Gérin-Lajoie en entrevue téléphonique.

Mais Mme Pollaert n'est pas la première personne à quitter la Fondation en raison d'un désaccord avec François Gérin-Lajoie, dont les dépenses excessives font problème depuis plus d'une décennie.

Des personnes qui ont côtoyé la Fondation décrivent une organisation plombée par des liens incestueux, confrontée à l'appétit des voyages de François Gérin-Lajoie, qui a été successivement directeur de financement, directeur général, PDG, puis président.

François Gérin-Lajoie jure qu'il ne fait pas plus de deux ou trois missions par an, et que les six derniers mois, au cours desquels il a fait quatre voyages en Afrique, sont exceptionnels.

Faux, rétorque un ex-employé qui a passé une dizaine d'années à la Fondation. «Il voyageait six à sept fois par an, je trouvais que ses coûts de mission n'avaient pas de bon sens.»

«La question des voyages s'est toujours posée, et ils n'ont presque jamais rapporté de nouvelles sources de financement», dit un ancien du C.A., qui affirme avoir été poussé vers la sortie par un président qui «faisait la baboune quand on le critiquait».

François Gérin-Lajoie avait l'habitude de voyager en classe affaires. «Quand je lui demandais pourquoi, il me répondait: «Je suis DG, je dois être en forme»», dit l'ex-administrateur.

François Gérin-Lajoie assure que depuis quatre ans, les règles de financement ont changé et qu'il ne voyage plus qu'en classe économique.

Projets de qualité

Toutes les personnes interrogées dans le cadre de cet article soulignent la valeur des projets éducatifs de la Fondation. Il n'est pas non plus question de malversations. Seulement de dépenses hors de contrôle d'un président bourlingueur, qui voit le C.A. «comme un mal nécessaire». Et qui bénéficie de ses liens avec son père Paul Gérin-Lajoie, dont la famille et les amis pèsent lourd au sein du C.A.

À un moment, plusieurs directeurs de services tentaient de réfréner la soif de voyages de leur patron. Les finances de l'ONG n'allaient pas bien, et les employés devaient faire des sacrifices. «Une fois, on a dû monter nous-mêmes les tables et les bancs pour la finale de la dictée PGL», confie un ancien employé. Les voyages du président passaient mal dans ce contexte.

Découragés, quatre directeurs sur cinq ont quitté le bateau, au tournant de l'année 2010.

Joint par téléphone dimanche, François Gérin-Lajoie reconnaît qu'il y a des «problèmes de gouvernance» à la Fondation, mais pas plus graves que dans d'autres ONG. Et qu'une procédure de correction est déjà en marche. Ainsi, dorénavant, il présentera un calendrier de voyages et des rapports de mission au C.A.

Un des administrateurs démissionnaires, François Audet, reste perplexe. Devant l'ampleur des problèmes, et devant la tempête causée par l'appui public à Fatima Houda-Pepin, un avis juridique recommandait de suspendre François Gérin-Lajoie, jusqu'à la tenue d'une enquête indépendante sur sa gestion.

«Au lieu de ça, on a congédié la directrice générale. J'ai comme un malaise», dit-il.