Il n'a jamais été plus difficile d'adopter un enfant. Le nombre d'adoptions internationales a atteint un creux historique en 2013 au Québec, révèlent des chiffres obtenus par La Presse. Les obstacles sont nombreux pour les aspirants parents.

Selon des données du Secrétariat à l'adoption internationale du Québec qui seront officiellement publiées d'ici quelques semaines, il y a eu 217 adoptions à l'étranger par des familles de la province l'an dernier. Le pire score depuis 1990, plus vieille statistique disponible, avec 535 adoptions. Leur nombre a ensuite grimpé pour atteindre des sommets en 1996 (977) et en 2004 (908).

«Les pays reçoivent tellement de demandes qu'ils ont resserré leurs critères», explique Pauline Jubinville, de la Société Formons une famille, qui supervise des adoptions dans plusieurs États asiatiques. Certains refusent les parents célibataires, les couples non mariés, les handicapés et les obèses, d'autres excluent ceux qui n'ont pas une scolarité suffisante ou qui ne sont pas suffisamment riches. «Ils ont assez de candidatures pour être difficiles. Ils peuvent choisir.»

Marasme administratif

En 2004, la moitié des enfants adoptés au Québec étaient d'origine chinoise. Ils ne sont plus que le quart des adoptions. Depuis que l'empire du Milieu a réformé son processus d'adoption en 2007 pour se conformer à la Convention de La Haye sur la protection des enfants, ses autorités sont prises au coeur d'un véritable bourbier administratif. «À la fin de 2006, ils ont été saturés de dossiers provenant de gens qui voulaient éviter le durcissement des règles», explique Mme Jubinville. Les autorités chinoises en sont encore à traiter ces demandes vieilles de plus de sept ans. Certaines familles attendent l'arrivée de leur enfant depuis autant d'années. «Et les délais continueront d'augmenter tant qu'ils n'auront pas terminé à traiter les dossiers de cette époque.»

Aux prises avec des situations semblables, de plus petits pays imposent maintenant des quotas ou des moratoires sur les demandes provenant de l'étranger. C'est notamment le cas des Philippines, d'où sont venus 31 bambins en 2012.

À mesure qu'ils s'industrialisent, les pays avec lesquels fait affaire le Québec favorisent aussi l'adoption nationale.

Les enfants proposés aux étrangers sont donc moins nombreux et souvent plus vieux ou aux prises avec des problèmes de santé. «De plus en plus, l'adoption internationale est envisagée comme un dernier recours lorsque l'enfant ne trouve pas de place chez des proches ou dans une famille de son pays», indique la directrice générale du Secrétariat à l'adoption internationale, Josée-Anne Goupil.

Changer les perceptions

Pour les parents adoptants, la solution pour accélérer le processus est donc d'accueillir un enfant malade ou plus vieux (plus de 3 ans), ou encore une fratrie, qui trouvent plus difficilement une famille dans leur pays d'origine. Une décision difficile qui peut toutefois diminuer l'attente de plusieurs années.

«Les gens ici ne sont pas encore tournés vers ça, note Mme Goupil. Ils préfèrent des bébés. Mais on n'adopte pas un enfant pour assouvir son désir d'être parent. On le fait pour lui offrir un milieu sécuritaire», dit-elle. Elle ajoute toutefois qu'on ne se prépare pas de la même manière à l'arrivée d'un enfant de 12 ans qu'à celle d'un poupon. «Il faut plus d'encadrement.»

Toujours dans l'optique de faciliter l'accès à l'adoption, des organismes se tournent maintenant vers des pays d'Afrique. C'est le cas d'Enfants d'Orient et d'Occident, qui fait depuis peu affaire avec Madagascar. «Mais ce n'est pas tout le monde qui est à l'aise. Il y a encore du racisme», dit Nathalie Quevillon, responsable aux informations.

Vivre d'espoir

Marie-Michèle Petit et son conjoint attendent la venue d'un enfant depuis plus de sept ans. Un interminable supplice pour le couple de Repentigny.

«On passe par toutes sortes d'émotions, confie la future maman. Ce serait mentir que de dire que j'ai vécu ça avec sérénité. Les premières années, l'attente a été très lourde. C'est dur pour le couple. Quand un a de l'espoir, l'autre est découragé.»

En 2006, après s'être rendu à l'évidence qu'il serait très difficile, voire impossible d'avoir un enfant de façon naturelle, le couple a ouvert un dossier d'adoption avec la Chine.

«Pour moi, il n'était pas question de passer à côté de la maternité, dit Mme Petit. Je voulais un enfant.» Son mari, de dix ans son aîné, père de trois enfants d'une précédente union, a accepté de se lancer dans l'aventure avec elle. «Il veut vivre une paternité à temps plein.» Le couple s'est même marié en vitesse pour satisfaire aux critères de sélection.

À l'époque, les délais d'attente étaient de 13 mois. «On s'attendait à recevoir un appel en 2007.» Ce n'est pas arrivé. À cause d'un engorgement administratif, les délais ont littéralement explosé.

Enfants avec des besoins spéciaux

Découragé, le couple s'est inscrit sur la liste d'attente des enfants ayant des besoins spéciaux, prêt à accueillir un bébé malade pour aller plus vite. «La Chine a fini par nous faire une proposition. Un petit garçon. On a dû refuser parce qu'il avait des besoins trop lourds pour notre situation familiale. Ç'a été tellement déchirant.»

Ils se sont alors résignés à attendre un poupon en santé. Depuis, ils vivent d'espoir. La chambre de l'enfant est prête depuis 2011. Elle attend. Vide.

«Il y a eu des périodes très tristes. Surtout à Noël. Après tout, c'est la fête des enfants. Des fois, on ne voyait pas le bout.»

Autour d'eux, amis et proches ont enchaîné les grossesses. «C'est sûr qu'à chaque fois, j'apprends la nouvelle avec une certaine envie, admet la femme de 37 ans. Je me demande pourquoi c'est si facile pour certains et si difficile pour nous. Mais en même temps, j'ai l'impression que c'est comme ça que ça doit être. La vie ne fait rien par hasard.»

Au fil du temps, il y a eu de nombreux découragements. Ils ont même pensé abandonner. «Cette année était la dernière. Si on n'avait pas de nouvelles, on abandonnait tout. Mon mari a 48 ans et on veut que notre enfant ait des parents en forme.»

La vie, pour reprendre l'expression de Mme Petit, en aura voulu autrement. Elle recevra une proposition d'enfant d'ici quelques jours et si tout va bien, elle et son mari partiront pour la Chine à la fin du mois de février. Un soulagement, mais une nouvelle inquiétude.

«On ne connaît pas cet enfant. On ne sait rien de son passé. Il y aura une période d'adaptation. Mais en même temps, je suis fébrile et heureuse.»

Son conjoint est parti il y a quelques jours en voyage d'affaires. Devant la porte de leur maison, ils se sont regardés dans les yeux. Après plus de sept ans à espérer, à pleurer et à se décourager, c'était la dernière fois qu'ils se voyaient avant d'être officiellement des parents. Ensemble.

Des critères stricts

Dans plusieurs pays, les gens obèses, divorcés, célibataires ou handicapés n'ont pas le droit d'adopter. Les demandes y sont si nombreuses que les autorités imposent des critères extrêmement sévères dans la sélection des futurs parents. Voici trois endroits où les règles sont particulièrement restrictives.

Chine

Ne peuvent adopter:

- les couples non mariés et les célibataires;

- les gens de moins de 30 ans et de plus de 49 ans;

- les couples qui ont un revenu familial annuel inférieur à 10 000 $ US pour chaque membre de la famille, incluant l'enfant à adopter;

- les couples qui ont une «valeur nette» inférieure à l'équivalent de 80 000 $ US en actifs;

- les époux qui n'ont pas terminé leur secondaire;

- les gens qui ont des problèmes de santé physique ou mentale et qui ont un indice de masse corporelle supérieur à 40 (seuil de l'obésité morbide).

Corée du Sud

Ne peuvent adopter:

- les célibataires et les couples qui ne sont pas mariés;

- les gens qui ont plus d'un divorce dans leurs bagages;

- les couples qui ont un écart d'âge de plus de sept ans;

- les gens qui sont en mauvaise santé physique ou mentale, qui souffrent d'un handicap ou qui dépassent le seuil considéré d'obésité;

- les gens qui ont souffert d'un cancer dans les cinq années précédant la demande.

Thaïlande

Ne peuvent adopter:

- les gens de moins de 25 ans;

- les couples non mariés;

- les couples qui font partie de sectes religieuses ou missionnaires;

- les gens qui ont déjà éprouvé des problèmes de santé mentale, même légers.