L'équipe de tutelle de la Ville de Laval entend imposer le budget pour 2014 sans tenir compte du résultat des élections pour un nouveau maire et des conseillers municipaux le 3 novembre, a appris La Presse.

«L'approbation du budget revient à la tutelle», confirme-t-on à la Commission municipale du Québec (CMQ). Le tuteur relève de la CMQ, qui a reçu le mandat du gouvernement d'assurer la gestion de la troisième ville en importance du Québec après le départ, dans la tourmente, du maire Gilles Vaillancourt et de son successeur, Alexandre Duplessis.

Au-delà des colonnes de chiffres qui peuvent paraître arides pour une large part de la population, un budget est un geste d'une grande importance politique pour une municipalité. Il traduit une orientation, une volonté de développer ou de restreindre les services aux citoyens. Il donne le ton aux actions de l'équipe en place. Il en va de même pour le Programme triennal d'immobilisations (PTI), qui constitue les investissements à long terme prévus par l'administration. Par le PTI, on sait, par exemple, si la municipalité choisit de faire la réfection de certaines infrastructures, ou plutôt de créer de nouveaux quartiers résidentiels ou commerciaux.

Le tuteur a le dernier mot

À Laval, les électeurs auront beau avoir voté pour une nouvelle équipe d'élus qui auront fait campagne sur les projets qu'ils entendent mettre de l'avant, c'est le tuteur qui aura le dernier mot en matière budgétaire. Les promesses de baisse de taxes foncières de l'un ou les investissements dans les transports en commun de l'autre devront s'accommoder des choix budgétaires du tuteur. Du coup, la plateforme électorale de chacun des aspirants maires pourrait reposer sur des assises fragiles.

Comme dans toutes les municipalités du Québec, l'automne est la période intensive pour la préparation du budget. À Laval, les travaux sont dirigés, comme d'habitude, par les fonctionnaires en poste, mais ils ne sont pas empreints d'une vision politique puisqu'ils s'effectuent sous la surveillance du tuteur.

Pour l'actuelle mairesse intérimaire, Martine Beaugrand, il importe que la nouvelle administration, qui tirera sa légitimité des élections, puisse exercer sa prérogative d'adopter un budget à son image. De la même façon, Mme Beaugrand et les élus du comité exécutif souhaitent que les embauches de hauts fonctionnaires - dont le directeur général de la municipalité - qui ont été enclenchées ne se réalisent qu'à l'arrivée de la nouvelle équipe à l'hôtel de ville.

Mais dans ce dossier comme pour la création d'un nouveau service de communications, le tuteur veut agir rapidement, avant le scrutin. La seule justification invoquée est que le tuteur a les coudées franches pour agir. Le cabinet du ministre des Affaires municipales, Sylvain Gaudreault, se borne au même commentaire.

À la CMQ, on indique que le prochain budget sera présenté au conseil municipal, mais que le tuteur a toute autorité pour l'approuver si les élus devaient décider de reporter son adoption après les élections. La dernière assemblée du conseil se déroulera le 3 octobre.

Habituellement, le dépôt d'un budget entraîne un débat au cours duquel les élus peuvent soulever des questions. On ignore si cette étape sera respectée.

De toute façon, il est déjà acquis que le tuteur poursuivra son travail après les élections. Il semble que le choix des électeurs pourrait influencer sa décision de rester plus ou moins longtemps après le vote. «La Commission municipale veut rencontrer les élus. [...] Ce n'est pas une question de juger de leur compétence, mais plutôt de la dynamique et de la cohésion», a expliqué la porte-parole de la CMQ, Sylvia Morin.

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L'opposition crie au déni démocratique

Les deux principaux partis d'opposition qui tenteront de faire une percée au conseil municipal de Laval le 3 novembre crient au déni démocratique et demandent au tuteur de la Commission municipale de ne pas procéder à la nomination de hauts fonctionnaires et de ne pas fixer le prochain budget.

«Pour qui se prend-il? Je voudrais savoir dans quelle démocratie le Parti québécois et le gouvernement du Québec veulent plonger Laval», a vivement réagi le candidat du Parti au service du citoyen, Robert Bordeleau.

Selon lui, le tuteur de la Ville de Laval «bafoue la démocratie municipale». M. Bordeleau est d'accord avec le fait que la Commission municipale demeure en poste quelques mois après l'élection, le temps que la nouvelle administration s'installe, mais il refuse catégoriquement qu'on lui impose notamment un directeur général ou qu'on fixe son budget.

Même son de cloche au Mouvement lavallois. Dans une lettre que La Presse a obtenue, le candidat à la mairie Marc Demers s'est adressé en juillet dernier au ministre des Affaires municipales, Sylvain Gaudreault. Il lui a demandé de limiter la sélection du nouveau personnel «aux cas obligatoires où l'absence de nomination aurait des conséquences importantes».

«Le tuteur va nommer des personnes dans des positions clés de l'administration municipale et quittera trois mois après. Qui sera imputable de leur nomination? Encore une fois, ce ne sera personne, et ce sont les citoyens qui vont en souffrir», a vivement déploré M. Demers.