Dans la dernière année, des familles ont fait la même demande dans quatre établissements de santé de la grande région de Montréal: elles voulaient qu'un médecin émette un certificat de virginité pour une jeune fille. Dans un rapport, deux éthiciennes rapportent des cas troublants et dénoncent cette pratique.

La jeune fille, une mineure, s'est présentée l'an dernier dans une clinique de la grande région de Montréal. Elle est accompagnée d'un membre de sa famille, qui demande un examen gynécologique et un certificat prouvant que la jeune fille est toujours vierge.

Les deux personnes ne sont pas d'origine québécoise. Mais elles sont de confession chrétienne.

La salle d'attente est pleine. Le membre de la famille est agressif. Le médecin cède et procède à l'examen. La jeune fille est estomaquée: quelques semaines plus tôt, l'infirmière de son école l'a assurée qu'aucun médecin québécois n'accepterait de pratiquer un tel examen.

«C'est un drôle de message qu'on a envoyé à cette jeune fille. Elle ne nous l'a jamais dit, mais elle a certainement ressenti une trahison de la part du système de santé», explique Claire Faucher, professeure adjointe de clinique à la Faculté de médecine de l'Université de Montréal, qui a recueilli ce témoignage.

Dans les jours qui ont suivi, toujours selon le témoignage de la jeune fille, sa famille a fait circuler les coordonnées du médecin dans son cercle de connaissances. «La jeune fille nous a dit que deux de ses amies avaient subi le même sort», poursuit Marie-Ève Bouthillier, chercheuse associée à l'Université de Montréal.

Partant de ce cas troublant, les deux éthiciennes ont produit un avis destiné aux professionnels du réseau de la santé. Leur recommandation est claire: «Un médecin devrait s'abstenir de délivrer un certificat de virginité.»

La même demande dans quatre établissements

Au cours des 18 derniers mois, au moins quatre établissements du réseau de la santé du Grand Montréal ont fait face à des demandes de certificat de virginité, nous ont indiqué les deux chercheuses.

Dans l'un de ces établissements, deux demandes de certificat de virginité ont été faites, en l'espace de quelques semaines, à des médecins différents. L'une d'entre elles provenait d'une femme majeure, qui a demandé, en clinique, à ce qu'on vérifie l'intégrité de son hymen.

«Le membre du personnel à qui on a fait cette demande a été bouleversé. Quand elle nous a raconté cela, il y avait encore des trémolos dans sa voix. Elle a procédé à l'examen. Et après, elle s'est dit: mais qu'est-ce que j'ai fait?», raconte Mme Bouthillier.

Dans le cadre de leur recherche, les deux éthiciennes ont demandé aux autorités du Directeur de la protection de la jeunesse leur avis sur le cas de la jeune mineure. «On nous a répondu qu'à plus de 14 ans, la jeune femme avait le droit de refuser l'examen», nous dit Mme Faucher.

Pour elle, cette réponse montre bien «que le système n'est pas prêt à faire face à de telles demandes. Il ne faut pas se borner à dire aux femmes: non, on ne fait pas ça, allez-vous-en.» Si un médecin se heurtait à cette demande, il devrait absolument diriger la jeune femme vers des groupes d'aide qui seraient en mesure de lui offrir du soutien.

Dans leur avis, les deux éthiciennes démontent, une par une, les raisons qui pourraient pousser les médecins à accepter de rédiger un certificat de virginité. Et elles recommandent surtout qu'on reconnaisse ouvertement ce problème, «pour qu'il ne soit pas banalisé ou passé sous silence».

Le Collège des médecins dit non

Le Collège des médecins a été mis au fait, par l'un de ces établissements de santé, de ces demandes de certificat de virginité. Aucune plainte n'a cependant été déposée. Devant ce genre de demande, la directive aux médecins est claire, dit le président, Charles Bernard: c'est non.

«Ça nous a été rapporté de façon plus qu'exceptionnelle. Un ou deux cas dans l'histoire récente, indique le Dr Bernard. On avertit nos membres de ne pas produire de certificat ou de faire d'examen gynécologique dans ce but», dit-il.

Non seulement cet acte n'est-il pas médicalement requis, mais prouver la virginité, «c'est mission impossible», dit-il. Certaines femmes ont un hymen très souple, qui «résiste» aux relations sexuelles, alors que d'autres peuvent avoir rompu la membrane en pratiquant des sports ou en tombant.

Les médecins sont d'ailleurs soumis au secret professionnel, ajoute le Dr Bernard. «Et là, ce sont de tierces personnes qui font les demandes. Voyons donc, ça n'a pas d'allure!» s'exclame-t-il.

Vania Jimenez, une gynécologue-obstétricienne qui travaille depuis 25 ans dans le milieu très multiethnique de Côte-des-Neiges, dit n'avoir personnellement jamais reçu de demande de certificat de virginité.

Ses collègues qui oeuvrent à la Maison bleue, où l'on suit les grossesses de femmes immigrantes, lui ont indiqué avoir eu deux demandes, en sept ans, de mères qui désiraient s'assurer que leur fille était vierge. «Évidemment, on a dit non. Éthiquement, ce n'est pas acceptable», dit la Dre Jimenez.

La présidente du Conseil du statut de la femme, Julie Miville-Dechêne, est tout à fait d'accord. «S'ils émettent ce genre de certificat, les médecins acceptent l'idée qu'une femme peut être jugée sur sa virginité. Ça va totalement à l'encontre de l'égalité hommes-femmes. Il ne faut pas ouvrir la porte à ça.»

Les recommandations des éthiciennes

1- Un médecin devrait s'abstenir de délivrer un certificat de virginité.

2- Des lignes de conduite interdisant cette pratique devraient être définies par le Collège des médecins et diffusées largement.

3- Devant une telle demande de la part des parents, le médecin devrait vérifier la sécurité de la jeune fille et prendre, le cas échéant, des mesures de protection.

4- La demande de certificat cache des problèmes complexes et vastes devant lesquels les différents intervenants sont démunis et sur lesquels devrait s'amorcer une réflexion sociale.

Reconstruire l'hymen

Chaque année, des jeunes femmes, au Québec comme ailleurs, passent sur la table d'opération pour une chirurgie qui n'a rien de médicalement requis: elles veulent faire reconstruire leur hymen.

Au Québec, il n'existe aucune donnée sur le nombre d'hyménoplasties pratiquées par les chirurgiens. «On n'a pas de chiffres parce qu'on ne rembourse pas cette opération», dit Marc Lortie, porte-parole de la Régie de l'assurance maladie du Québec.

Rien n'empêche une femme d'avoir recours à une clinique privée d'esthétique pour une telle opération, indique cependant M. Lortie.

Un simple appel dans une clinique d'esthétique de la région de Montréal montre d'ailleurs la facilité de la chose. «Pratiquez-vous des hyménoplasties?» avons-nous demandé à la réceptionniste, sans nous identifier comme journaliste. «Bien sûr!» a-t-elle répondu. La chose se pratique «beaucoup», nous dit-elle. Au total, l'opération coûte 2862 $ et nécessite trois rendez-vous avec le chirurgien ou ses assistants.

En France, ce genre d'opération est également courant. Le Monde rapportait en juin dernier que des jeunes femmes se présentaient «une à trois fois par semaine» à l'Institut européen de chirurgie esthétique pour une hyménoplastie.

«Actuellement, c'est la période de l'hyménoplastie parce que c'est la saison des mariages. Fin juillet, ça va s'arrêter», disait l'un des médecins interviewés.

L'opération dure de 20 à 30 minutes et a lieu généralement peu avant le mariage afin que la plaie saigne sur les draps.

Un enjeu en Europe

Le cas belge

Un sondage réalisé en 2007 en Belgique par le Groupement des gynécologues obstétriciens de langue française de Belgique nous fournit un aperçu de la fréquence à laquelle on demande aux médecins de produire des certificats de virginité dans ce pays.

Sur les 800 questionnaires envoyés, 254 médecins de la partie francophone de la Belgique ont répondu au sondage. Ils ont indiqué qu'en 2007, 310 demandes de certificat leur avaient été adressées. On dénombrait également  238 demandes de réfection d'hymen, une opération de chirurgie plastique qui vise à «recréer» un faux hymen.

Le Sénat belge étudie actuellement un projet de loi pour interdire la production de tels documents. Dans ceux qui accompagnent le projet de loi, on mentionne que cette pratique émane d'une interprétation abusive d'un article de la loi algérienne, qui prévoit que les conjoints doivent fournir un certificat médical avant le mariage.

Le cas français

Le Conseil national de l'ordre des médecins, en France, a recommandé à ses membres de ne pas délivrer de tels certificats. On estime que la pratique est «contraire à la dignité de la femme». On ajoute que les médecins ne sont pas là «pour aider à perpétuer une tradition d'un autre âge».

En juillet dernier, le magazine Le Point publiait le témoignage - anonyme - d'une médecin pratiquant dans une cité française qui racontait avoir été pratiquement séquestrée dans un appartement lors d'une visite à domicile où des membres de la famille lui demandaient de produire un certificat de virginité pour une de leurs filles.

«Sur place, raconte-t-elle, j'ai compris que les personnes présentes attendaient de moi que je délivre un certificat de virginité pour la future mariée.»

Forums de discussion

La question des certificats de virginité est débattue ouvertement sur les forums de discussion français, canadiens ou maghrébins.

«Je me marie dans quelques semaines. Ma mère me parle de certificat de virginité. J'hésite», confie une internaute, sur le forum Yahiladies, destiné aux femmes maghrébines.

«C'est une atteinte à la dignité humaine», lui répond une autre internaute. «Je trouve ça stupide. Tout ça est entre Allah et ton époux», dit une autre.

Parfois, certains appels à l'aide sont déchirants. Comme celui de cette jeune femme originaire de Lyon: «Je recherche un médecin qui accepterait de me délivrer un certificat de virginité. Je suis avec mon copain depuis trois ans, on se marie en juin et à ma grande surprise, ma famille me demande un certificat de virginité.»

«Je connais un médecin, si tu veux. Je suis prête à t'aider», lui répond une internaute.