Un magot de 22,5 millions $ a servi «à influencer des fonctionnaires québécois en vue de l'attribution du contrat de modernisation» du Centre universitaire de santé McGill (CUSM) à SNC-Lavalin, selon des documents judiciaires de l'UPAC rendus publics aujourd'hui.

C'est la première fois que des documents officiels confirment l'ampleur des pots-de-vin qui auraient été versés pour le projet de mégahôpital. Ce chiffre avait toutefois déjà été rendu public par La Presse dès l'automne dernier.

Selon les documents, l'argent aurait transité par au moins trois intermédiaires avant d'être en partie «transféré[e] vers des comptes dont les ayants-droits économiques sont, entre autres, Arthur Porter et Yanai Elbaz».

De nombreux courriels échangés entre des employés du géant québécois de l'ingénierie semblent indiquer que des versements ponctuels de quelques millions de dollars étaient effectués dans le compte de Sierra Asset Management. Cette société basée aux Bahamas est notamment administrée par Jeremy Morris, qui a des liens étroits avec Arthur Porter.

Trois semaines à peine après l'octroi du contrat du  CUSM au consortium dirigé par SNC-Lavalin, un premier paiement de 10 millions $ quitte les coffres de la firme à destination de Sierra Asset Management. Deux autres paiements de cinq millions ont suivi.

Puis, en août 2011, Stéphane Roy de SNC-Lavalin a envoyé à un collègue un courriel lui demandant de transférer 2,5 millions de dollars à leur «ami aux Bermudes». Cet individu avait déjà reçu 20 millions $, selon le même message.

Chaque fois, les transferts d'argent dénichés par l'UPAC sont signés par Riadh Ben Aïssa, ancien dirigeant de SNC-Lavalin en Afrique du Nord et par Hugues Crener, son subordonné au sein de la firme. M. Ben Aïssa est présentement détenu en Suisse, les autorités helvètes le soupçonnant de corruption en Libye.

Selon l'affidavit, c'est lui qui «a orchestré» le transfert des pots-de-vin de 22,5 millions $. Sur papier, ces montants étaient attribués à «un projet gazier en Algérie (Rhoud Nouss)» alors qu'ils servaient plutôt à obtenir le contrat du CUSM.

Les affidavits obtenus par La Presse étaient lourdement caviardés. Ils ont servi à effectuer des perquisitions dans les bureaux du CUSM et d'Infrastructure Québec en septembre dernier.

Pierre Duhaime impliqué

Les affidavits pointent aussi du doigt l'ex-grand patron de SNC-Lavalin, Pierre Duhaime, qui aurait échangé cinq courriels avec Riadh Ben Aïssa juste avant que le CUSM relance son processus d'appel d'offres.

«Ces échanges traitent d'une rencontre que les deux individus doivent avoir avec un ''ami'' qui doit leur transmettre de l'information», ont écrit les policiers de l'UPAC.  Ces courriels sont intitulés «CUSM», «Rencontre» et «Acceptée CUSM».

Exactement dans la période où MM. Ben Aïssa et Duhaime discutaient de la rencontre avec leur mystérieux «ami», la société Sierra Asset Management a été créée. Elle recevra rapidement un contrat de 30 millions $ pour le projet algérien.

Cinq personnes ciblées

Mercredi, l'UPAC a mis la main au collet de Yanai Elbaz , un ex-directeur général adjoint du CUSM et bras droit d'Arthur Porter. Ses policiers ont aussi émis des mandats d'arrestation contre M. Porter lui-même, l'ancien grand patron de SNC-Lavalin Pierre Duhaime, Jeremy Morris de Sierra Asset Management et Riadh Ben Aïssa.

Hier, Arthur Porter a plaidé qu'il était atteint d'une forme grave de cancer du poumon et qu'il ne pouvait se déplacer au Canada pour se plier au mandat d'arrestation.