Chaque gala de la fondation de l'entrepreneur Joe Borsellino, écorché par la commission Charbonneau, est un événement mondain très couru par les VIP et le Québec inc. La présentation 2012 de la Fondation GarnierKids.com n'a pas dérogé à la règle: près de 500 000$ ont été récoltés entre deux coupes de champagne servies par une acrobate. Les fonds seront versés à l'hôpital Sainte-Justine et à l'Hôpital de Montréal pour enfants.

De son côté, l'entreprise Catania, dont les dirigeants ont été arrêtés par l'Unité permanente anticorruption (UPAC) puis accusés, vante sur son site web son «implication sociale» par l'entremise de sa propre fondation. Elle affiche bien en évidence les logos de la Fondation de l'hôpital Charles-LeMoyne et de l'Institut de cardiologie, qu'elle finance.

Mais, au bout du compte, qui sont les gagnants? Les organismes qui reçoivent les fonds ou ces entrepreneurs controversés, philanthropes d'un soir?

Du point de vue de l'image, ces entrepreneurs bénéficient certainement de retombées positives, «même si ces dons peuvent être faits par réelle compassion», explique l'éthicien Michel Dion, professeur à l'Université de Sherbrooke et titulaire de la Chaire de recherche en intégrité financière. «C'est de la gestion d'image corporative, dit-il. La philanthropie devrait toujours montrer un désintéressement, c'est pour ça que je suis contre la notion de philanthropie stratégique, mais elle assure forcément de bonnes retombées sur le plan de l'image.»

Et c'est le cas. «La Fondation GarnierKids initie la première clinique neurocardio au Canada»: difficile de ne pas remarquer cette demi-page de remerciements adressés à la fondation de Joe Borsellino lorsqu'on ouvre le numéro de mai 2012 du bulletin de l'hôpital Sainte-Justine. En juillet 2012, c'est le quotidien The Gazette qui a publié un reportage agrémenté de plusieurs photos sur «l'amour insufflé» par Joe Borsellino et sa femme lors de leur soirée de financement. «Les initiatives comme celles de GarnierKids sont essentielles et méritent d'être soulignées», lit-on dans un communiqué publié sur le site de la FTQ-Construction.

Jacques Duchesneau, député de la Coalition avenir Québec et ex-chef de police, n'y voit cependant qu'une opération de blanchiment de réputation. «Ils aspirent tous à être vus comme de bons citoyens. En endossant ce costume de Robin des Bois, ils se donnent de la notoriété et reçoivent en plus un reçu d'impôt pour de l'argent qui, parfois, a été pris dans nos poches. Ils ont le meilleur des deux mondes.»

«Manque de jugement grave»

Lorsqu'il était au pouvoir, le Parti libéral du Québec (PLQ) s'est montré très généreux avec la fondation de Joe Borsellino. De 2005 à 2012, Jean Charest et une vingtaine de ses ministres, dont Jacques Dupuis, ami personnel de Joe Borsellino, Nathalie Normandeau et Jean-Marc Fournier, ont puisé 60 000$ dans les budgets discrétionnaires de leur ministère pour financer GarnierKids.

Jean-Marc Fournier et le PLQ se sont défendus en expliquant que les ministres ont aussi financé d'autres organismes comme le Club des petits-déjeuners ou la Fondation du Centre hospitalier universitaire de Québec (CHUQ).

Toutefois, selon nos sources, certains ministres ont refusé de donner, car ils avaient des doutes sur l'intégrité de l'opération.

Quant aux autres, pourquoi ont-ils donné à la fondation d'un entrepreneur en construction plutôt que directement à l'hôpital Sainte-Justine, par exemple?

«C'est la question», affirme Jacques Duchesneau. «Le politique prend trop de place dans la philanthropie», regrette Michel Dion. Il croit aussi qu'«on prend un risque» lorsqu'on donne à un intermédiaire qui peut être éclaboussé, parce qu'il est «douteux», plutôt que directement à la cause.

«Le choix des organismes et des causes soutenus leur appartient, explique Daniel Desharnais, attaché politique de Jean-Marc Fournier, chef intérimaire du PLQ. Dans le cas de GarnierKids, il s'agit d'une fondation dont la mission est d'oeuvrer pour la santé et l'éducation des enfants [...]. Si je suis votre raisonnement, il ne faudrait pas soutenir notamment la Fondation du Canadien de Montréal pour l'enfance et Opération Enfant Soleil, puisque ces organismes participent à des projets d'institutions qui possèdent leur propre fondation.»

«Ils ont donné l'argent des contribuables, réplique Jacques Duchesneau. S'ils tenaient tant à cette cause, pourquoi n'ont-ils pas pris dans leur allocation personnelle de député?»

Stéphane Bédard, ministre responsable de l'administration gouvernementale et président du Conseil du Trésor, est aussi cinglant: «Dans ce cas-ci, c'est un manque de jugement grave», dit-il. Il ne voit pas non plus quelles nouvelles directives pourraient empêcher qu'une telle situation se reproduise. «Il n'y a aucune règle qui va remplacer le jugement d'un administrateur ou d'un politicien. Et, malheureusement, la loi ne nous permet pas de donner du jugement à quelqu'un.» En attendant, Sylvain Gaudreault, ministre péquiste des Affaires municipales, n'a pas versé un sou à GarnierKids, contrairement à ses prédécesseurs Laurent Lessard et Nathalie Normandeau.

Influence et intouchables

Dans son rapport déposé en septembre 2011, Jacques Duchesneau citait un ex-conseiller politique qui remettait en question la sincérité philanthropique des entrepreneurs. «Plus ils ont de contrats, plus ils donnent; plus ils donnent, plus ils ont de l'influence; plus ils ont de l'influence, plus ils ont de contrats. Et cette influence, ils l'exercent ensuite partout via l'argent public, que ce soit en siégeant à des fondations ou en faisant des levées de fonds pour des oeuvres caritatives. Ils deviennent presque intouchables compte tenu de tous ces rapports enchevêtrés.»

En plus d'être à la tête de sa propre fondation, éclaboussée l'été dernier par un scandale entourant l'achat et la revente d'un terrain à Brossard, Paolo Catania a été plusieurs années de suite président du conseil de la Fondation de l'hôpital Charles-LeMoyne. Son PDG, André Fortin, y siégeait aussi. Les deux ont été arrêtés en mai dernier par l'UPAC.

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Les comptes de GarnierKids.com en 2011

> Actifs : 1,2 million

> Revenus : 508 509$

> Dépenses : 585 564$

> Gestion et administration : 4135$

> Dons à des organismes : 505 000$

(Sainte-Justine: 150 000$, Hôpital de Montréal pour enfants : 130 000$ , etc.)

Données provenant du site de l'Agence du Revenu du Canada