La mise en accusation d'une mère, il y a deux semaines, pour le meurtre de ses trois enfants à Drummondville, a levé le voile sur une crise qui va bien au-delà du simple fait divers, préviennent plusieurs experts. Beaucoup de parents ont besoin d'aide, mais bien peu en reçoivent. Parce qu'ils sont seuls, parce qu'ils ont peur d'être dénoncés ou parce qu'ils n'ont pas accès aux ressources nécessaires. Rencontre avec des parents qui ont frôlé le pire.

Monica* avait tout prévu. Elle allait s'enfermer dans la chambre, ouvrir la valve de la bouteille de propane et se coucher dans le lit avec ses quatre enfants serrés contre elle. «On serait partis en dormant, tous ensemble», dit la jeune mère de famille. À la dernière minute, elle a changé d'idée.

C'était il y a un an. Avec le recul, la femme de 32 ans se rend bien compte qu'elle était au bord du gouffre. Seule avec quatre enfants de moins de 10 ans après avoir quitté un conjoint violent, elle n'en pouvait plus. «J'ai eu un moment de faiblesse. Je ne voyais pas d'issue, explique Monica. Ça ne fait pas de moi une mauvaise mère. J'avais simplement besoin d'aide.» Elle en a reçu juste à temps.

«Le soir, j'ai eu un appel d'une intervenante auprès des femmes battues qui voulait s'assurer que je me présenterais en cour le lendemain. Je lui ai tout déballé. On a parlé. Ça m'a aidé à mettre les choses en perspective.»

Des parents en crise, l'organisme d'aide aux familles la Maison Kangourou en ramasse à la petite cuillère plusieurs fois par année. L'OBNL montréalais offre des services d'hébergement aux enfants dont les parents - généralement les mamans - vivent une détresse passagère. Certains avouent qu'ils souhaitent mourir. D'autres sont trop épuisés pour s'occuper de leurs enfants. «Une mère m'a déjà raconté qu'elle avait voulu jeter son bébé par la fenêtre. Une autre s'était évanouie dans la cuisine tellement elle était fatiguée», raconte la présidente-directrice générale de l'organisme, Josée Fortin.

La clientèle est variée. Des gens de toutes les classes sociales, qui traversent une mauvaise période. «Ils vivent généralement une succession d'événements difficiles. Séparation, perte d'emploi, maladie...», énumère Mme Fortin, qui a notamment appuyé Monica.

«Beaucoup sont seuls et n'ont pas de famille pour les aider. Ils ne voient pas le bout. Ça ne veut pas dire que ce sont de mauvais parents. Ce ne sont pas des cas de DPJ. Ils ne maltraitent pas leurs enfants. Ils ont simplement besoin d'une aide temporaire avant qu'ils ne soient plus capables d'encaisser et qu'ils commettent l'irréparable», explique Josée Fortin, qui accueille les enfants durant une certaine période afin de donner un répit à leurs parents. «Juste quelques jours pour décanter et s'occuper de soi, ça peut être suffisant», ajoute-t-elle.

Selon la responsable, l'aide est rare pour la clientèle qui fréquente sa maison. Un an après sa fondation, il y a déjà une liste d'attente. «On gère des crises, nous!», rage la patronne. «Au Québec, il existe peu d'aide en amont pour les familles, et les gens hésitent à les consulter de peur d'être jugés ou de se faire dénoncer à la DPJ», dit Mme Fortin.

Même son de cloche à La Relance jeunes et familles, un organisme communautaire d'Hochelaga-Maisonneuve. «Les gens ont honte. Dans une société où il faut réussir en tout, c'est mal perçu d'avouer qu'on a besoin d'aide. Surtout pour un parent», dit le directeur, Benoit DeGuire.

À 32 ans, Camille*, mère célibataire de trois enfants, raconte avoir beaucoup souffert du jugement des autres. «C'est un gros tabou de dire que tu n'es plus capable de t'occuper de tes propres enfants», dit-elle. La jeune femme a repris sa vie en main, mais dit avoir vécu une période où plus rien n'allait. Complètement épuisée, au coeur d'une bataille judiciaire contre son ex-conjoint, elle se croyait dépressive. «J'avais des idées noires. Je n'y arrivais plus toute seule, et le père refusait de prendre les enfants quelques jours», se souvient Camille.

Découragée, elle s'est rendue à l'hôpital. «Tout ce que je voulais, c'était un billet du médecin pour que mon avocat convainque mon ex de prendre les enfants un peu, explique-t-elle. On m'a plutôt envoyée aux urgences psychiatriques parce que j'avais des idées suicidaires. Mon avocate a décrété que je n'étais pas en état de m'occuper de mes enfants, et je ne les ai pas vus pendant quatre mois. Comme si j'étais dangereuse juste pour avoir réclamé de l'aide. Il me semble au contraire que ça fait de moi quelqu'un de responsable.»

Aujourd'hui, elle a la garde complète des enfants, que leur père ne voit que sous supervision.

* Les noms ont été modifiés afin de protéger l'identité des mères et de leurs enfants.

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Une ressource unique

Monica, Camille et Caroline ont toutes trois eu recours aux services d'urgence de la Maison Kangourou. L'organisme à but non lucratif, complètement indépendant du réseau de la santé, a été fondé l'an dernier par Josée Fortin, étudiante au doctorat en santé communautaire. Le but est d'accueillir durant quelques jours les enfants dont les parents sont dépassés et n'arrivent plus à s'en occuper. La majorité des gens y laissent leurs enfants de trois à cinq jours. La ressource est unique au Québec, mais elle pourrait faire des petits, croit la fondatrice, qui est en discussion avec des intervenants d'autres régions dans ce but.