Kateri Tekakwitha sera canonisée demain au Vatican, 332 ans après sa mort. Événement historique, puisque cela fera d'elle la première sainte autochtone de l'Amérique du Nord. Cette reconnaissance tardive est toutefois le dernier chapitre d'une relation tourmentée entre l'Église et les autochtones. Un pas de plus vers la réconciliation?

C'est en soi un événement. Par sa canonisation, Kateri Tekakwitha deviendra demain la première sainte autochtone de l'Amérique du Nord.

Pour les Amérindiens catholiques, cette reconnaissance au plus haut niveau fait figure de récompense, après des années de patience et de «lobbyisme» acharné. Pour l'Église, elle couronne les efforts d'une politique de missionnariat qui remonte aux premiers temps de la Nouvelle-France.

Comme le résume le père Jacques Monet, historien des jésuites, «Kateri est la preuve que le message de l'évangile s'applique à toutes les nations et à toutes les cultures... Elle est la preuve que la culture amérindienne peut produire des saints autant que d'autres cultures».

Tout le monde, cependant, ne le voit pas de la même façon.

Pour les autochtones plus traditionalistes, qui ont depuis longtemps tourné le dos à la religion catholique, «l'événement» cache un visage beaucoup plus sombre: il rappelle la relation tourmentée qui dure depuis des siècles entre l'Église et les autochtones.

«Cette canonisation me renvoie surtout à l'histoire coloniale qui a eu un impact sur le peuple mohawk», souligne Orenda Boucher, Mohawk de Kahnawake, qui étudie l'histoire et la philosophie des religions à Concordia. «C'est une histoire horrible et malheureusement, Kateri en fait partie.»

Mme Boucher sait que le personnage suscite des sentiments partagés parmi les autochtones: pour beaucoup d'entre eux, Kateri reste une source de fierté, peu importe l'allégeance spirituelle. Chez les Mohawks, plusieurs traditionalistes ont d'ailleurs fait le voyage à Rome pour assister à la canonisation.

Mais cela, croit-elle, n'effacera pas les cicatrices du passé, qui vont des conversions forcées au drame des écoles résidentielles.

«Kateri fait partie de nous, mais sa place est ambiguë», observe l'universitaire, qui prépare une maîtrise sur les relations entre les jésuites et les Mohawks au XVIIe siècle. «Disons qu'on aime l'être humain, pas nécessairement la catholique.»

Un instrument politique?

Mme Boucher ne serait pas surprise que la canonisation de Kateri ait une valeur stratégique. Dans la foulée du gouvernement canadien, qui a offert ses excuses aux anciens élèves des pensionnats amérindiens en 2008, l'Église catholique a encore des choses à se faire pardonner. Benoît XVI avait exprimé des «regrets» en 2009, sans toutefois offrir d'excuses officielles.

Pour Louis Rousseau, professeur de théologie à l'UQAM, il ne fait aucun doute que les relations ont toujours été «rock'n'roll» entre l'Église et les autochtones. Pas étonnant, note-t-il, que plusieurs se soient tournés vers le protestantisme et le traditionalisme à partir des années 20.

De là à voir Kateri comme un instrument politique, il y a une marge. «Que l'Église veuille faire un beau geste, à mon avis, c'est incontestable, souligne M. Rousseau. Ce geste a une portée de réconciliation... Cela dit, Kateri a aussi ses mérites.»

Il est vrai que le Lys des Mohawks n'a pas volé son auréole. Déjà dans les années 1880, les jésuites militaient pour sa canonisation, en lui attribuant de nombreux miracles. Hélas, Kateri s'est fait doubler à la dernière minute par les Saints Martyrs canadiens, qui furent canonisés en accéléré, en raison des terribles souffrances physiques que leur avaient infligées... les Amérindiens.

Depuis, les conditions pour être admissible à la sainteté se sont grandement resserrées. Et Kateri a dû attendre la guérison inespérée de Jake Finkbonner, en 2006, pour revendiquer le miracle qui lui manquait. Victime de la bactérie mangeuse de chair, le jeune Amérindien s'était rétabli après que sa mère eut prié Kateri.

«On pourrait dire que l'Église cherche à s'excuser, conclut Jacques Monet. Mais beaucoup de monde voulait canoniser Kateri bien avant l'éclatement des scandales autour des écoles résidentielles. Sa cause est vivante depuis longtemps. Dans le contexte actuel, sa canonisation est surtout le résultat du miracle qu'on lui attribue sur la côte ouest américaine. Il n'y aurait pas eu de canonisation s'il n'y avait pas eu ce miracle...»

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Qui était Kateri?

Fille d'un chef mohawk traditionaliste et d'une mère algonquine catholique, Kateri Tekakwitha a vécu de 1656 à 1680. Persécutée par les siens en raison de sa foi, cette grande mystique quittera son village de naissance (Auriseville, dans l'État de New York) pour rejoindre Kahnawake, en Nouvelle-France, où sa rigoureuse vie d'ascète fera l'admiration des jésuites. Adepte de l'automortification, elle finira par mourir de ses excès, à l'âge de 24 ans. Plus de trois siècles après sa mort, le «Lys des Mohawks « fait toujours l'objet d'un culte international, principalement chez les autochtones d'obédience catholique. Sa canonisation stimulera sans doute le tourisme à Kahnawake, où sont situés son tombeau et ses ossements.

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Pour suivre la canonisation

Ce soir 19h: Vigile à l'église Saint-François-Xavier de Kahnawake.

Cette nuit 3h30: Retransmission en direct de la cérémonie de canonisation sur la chaîne religieuse Sel+Lumière. Rediffusion 16h.

Demain 9h: Retransmission en différé de la cérémonie à l'église Saint-François-Xavier.

Demain 10h30: Célébration eucharistique présidée par Mgr Jacques Berthelet, ancien évêque du diocèse de Longueuil. Cette messe sera suivie d'une procession au tombeau de Kateri et d'une période d'adoration jusqu'à 17h.

Dimanche 4 novembre 14h30: Une messe d'action de grâce spéciale sera donnée à l'oratoire Saint-Joseph. On attend des représentants des gouvernements et des différentes communautés autochtones. La cérémonie sera présidée par l'évêque du diocèse de Longueuil, Mgr Gendfron Longueil, et présentée en direct à Radio-Canada.