Secoué par les démarches des autorités à son endroit, Antonio Accurso cède à regret l'entreprise qu'il a bâtie depuis 30 ans. L'homme se défend toutefois d'avoir fait progresser ses affaires au détriment d'autrui.

Portrait de l'empire Accurso

Graphique de l'empire Accurso

Mardi matin, Tony Accurso a choisi La Presse pour accorder sa première entrevue à vie à un média. L'entrepreneur en construction, controversé, qui fait l'objet de diverses enquêtes criminelles et fiscales, en est venu à la conclusion qu'il doit céder les rênes de son entreprise, idéalement à des Québécois, mais pas à n'importe qui et surtout pas à ses enfants.

«Je veux juste être bien clair. Je n'ai jamais rien volé à personne. J'ai travaillé comme un chien sale toute ma vie pour bâtir cette affaire-là. Et j'en suis extrêmement fier. Pour le bien des employés, il faut que cette compagnie-là reste au Québec et continue à faire des petits, continue à grandir», a-t-il dit à La Presse.

Au téléphone, l'homme qui s'exprime dans un français de rue bien québécois était calme, posé, mais résigné.

«Compte tenu de ce qui se passe, les entreprises ne peuvent plus continuer à grandir avec moi comme responsable. Il faut que je passe le flambeau pour le bien des 3500 employés et de tous les travaux qui s'en viennent. Je dois absolument partir, je n'ai pas le choix», dit-il.

Rappelons que Tony Accurso est l'objet de diverses enquêtes criminelles et fiscales. En avril, dans l'affaire Mascouche, il a été accusé de fraude et de versements d'un pot-de-vin. En août, il a été accusé d'avoir participé à la corruption de fonctionnaires de l'Agence du revenu du Canada. Et plus récemment, l'escouade Marteau et l'Agence du revenu du Québec ont mené des perquisitions dans ses entreprises.

Commission Charbonneau

Au cours de la conversation, Antonio Accurso fait valoir qu'il y a deux côtés à une médaille. Il qualifie «d'écoeurant» le témoignage de l'entrepreneur Lino Zambito à la commission Charbonneau. «Tant qu'à moi, Lino Zambito fait un esti de paquet de diarrhée verbale. Mais à la longue, tout le monde va être capable d'avoir son mot à dire pour expliquer la situation», dit-il.

Ira-t-il témoigner à la Commission? «Si je suis convoqué, je vais être obligé d'y aller», explique M. Accurso. Ni lui ni ses conseillers juridiques n'ont encore décidé s'il s'opposera à sa présence à la Commission.

Antonio Accurso cède les rênes de son entreprise, mais il dit souhaiter de tout coeur que son «joyau» reste la propriété de Québécois. «Je vais tout faire pour que ça reste au Québec. Il n'y en aura plus, de compagnie de construction québécoise, c'est fini. Je m'enlève de là, il y en a très peu. On parle de Pomerleau, mais Pomerleau est une entreprise générale, elle ne fait pas de civil [routes et ponts]», dit-il.

Au cours des dernières années, l'homme d'affaires controversé a été sondé par plusieurs groupes pour vendre l'entreprise, dont des firmes internationales. Déjà, au printemps 2011, La Presse avait appris de plusieurs sources qu'il planifiait sa sortie, en raison de la pression des enquêtes et des institutions financières.

Ses enfants exclus

Aujourd'hui, toutes les options sont ouvertes, y compris la vente pure et simple. L'homme d'affaires a embauché une firme d'experts financiers - dont il doit taire le nom - pour le conseiller sur les possibilités qui s'offrent à lui. Vente de l'entreprise, morcellement, fusion, cession aux principaux dirigeants en place: tout est sur la table. «Les décisions vont être prises assez rapidement», dit-il.

En fait, une seule option n'est pas dans les cartons: la cession à ses enfants Lisa, James et Marco Accurso. Hier, dans un entretien au journal web Les Affaires, Lisa Accurso s'est dite déçue de cette décision. «C'est sûr. Je suis élevée sur les chantiers depuis l'âge de 9 ans, a-t-elle fait valoir. On est tous les trois formés comme ingénieurs.»

Tony Accurso n'est pas surpris de l'intérêt manifesté par des acheteurs pour le groupe Accurso depuis plusieurs années. «C'est sûr. C'est le joyau du Québec, la meilleure compagnie de construction. Une compagnie reconnue. On a les meilleurs hommes, on a la meilleure machinerie, on a des agrégats, des usines d'asphalte, on a tout, tout, tout. Ce n'est pas une compagnie de broche à foin», dit-il.

Le chiffre d'affaires du groupe Accurso dépasse le milliard de dollars, selon l'homme d'affaires. Il fait valoir qu'il est deux fois plus important que son plus proche concurrent au Québec, en nombre d'heures travaillées par les ouvriers. Les trois quarts du volume d'affaires de l'organisation sont réalisés au Québec; le reste, dans la plupart des autres provinces canadiennes.

Fonds FTQ

«Moi, j'ai fait mon bout, dit-il. J'ai 61 ans, je commence à être fatigué. J'ai pris une compagnie que mon père avait, avec 75 employés, je l'ai montée à 3500 avec au-dessus d'un milliard de chiffres d'affaires par année, une compagnie 100% québécoise, bâtie avec le Fonds de solidarité.

«On a fait un miracle dans le contexte. On a réussi à éloigner toutes les entreprises multinationales, on a gardé ça au Québec. C'était ça, la mission du Fonds, avec Louis Laberge dans le temps, et même avec Claude Blanchet dans le temps. Mais là, c'est fini. Moi, je passe à autre chose», dit-il.

Dans un communiqué publié hier après-midi, il a remercié les dizaines de milliers d'employés qu'il a côtoyés au sein de l'organisation au fil des ans, et qu'il qualifie d'inégalables.

«Après plus de 30 ans à la tête de ces entreprises, écrit-il dans le communiqué, je crois qu'il est préférable de laisser la place à des gens plus jeunes et plus énergiques. Je suis né au Québec, et je considère qu'il a été une terre d'accueil chaleureuse pour toute ma famille depuis bientôt un siècle.»

Le groupe Accurso est constitué en société en commandite depuis 2008. Cette société, Louisbourg SBC, chapeaute toutes les entreprises du groupe, dont Simard-Beaudry Construction, Louisbourg, Constructions Marton, Bannister Pipelines et Gastier, entre autres. Le groupe est intégré, et il détient des carrières à Laval et au nord de Lachute, notamment.