Alors que la chasse aux fraudeurs bat son plein, l'Agence du revenu du Canada (ARC) réduit substantiellement ses enquêtes visant les criminels, a appris La Presse.

Selon nos renseignements, certaines formes d'enquête sont carrément abandonnées, tandis que d'autres sont substantiellement réduites. Dans ces divisions, 552 employés syndiqués de l'Agence perdent leur poste ou sont réaffectés ailleurs. On estime qu'entre 100 et 180 de ces employés sont situés au Québec. De nombreux cadres sont également touchés.

Les informations de La Presse sont tirées de deux communiqués internes rédigés par le Syndicat des employés de l'impôt et par l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada. Le premier syndicat représente surtout le personnel administratif de l'Agence, tandis que le second défend essentiellement les vérificateurs et enquêteurs.

1289 postes

Les employés concernés par les changements ont reçu un avis à la fin du mois de juin. En plus des 552 employés affectés aux enquêtes sur les criminels, les mesures d'austérité touchent 694 autres employés syndiqués, de même que 43 cadres, pour un total de 1289 employés (194 au Québec).

Les démarches de l'Agence s'inscrivent dans le plan du gouvernement Harper de réduire les dépenses de 5,2 milliards d'ici à 2015. La plupart des ministères et sociétés du gouvernement sont touchés par ces coupes, dont le ministère de la Défense nationale, Radio-Canada et Statistique Canada, entre autres. Au terme du processus, quelque 19 200 fonctionnaires perdront leur poste.

Selon les communiqués des deux syndicats, l'Agence abandonne son Programme spécial d'exécution, soit le programme de vérification et de mesures civiles qui ciblent des criminels et plus particulièrement des membres du crime organisé. Ce programme, qui existe depuis plusieurs années, pouvait déboucher sur des saisies de biens ayant été acquis avec de l'argent sale.

Au cours de l'exercice annuel 2010-2011, l'Agence a mené 834 vérifications de contribuables dans le cadre de ce programme. Ces vérifications ont permis d'envoyer des avis de cotisation pour 87 millions de dollars d'impôts additionnels.

Famille Rizzuto

C'est dans le cadre de ce programme que l'Agence collaborait avec la GRC et les administrations fiscales internationales dans la lutte contre le blanchiment d'argent. En 2010, l'Agence avait épinglé la famille Rizutto, qui a longtemps dirigé la mafia montréalaise. Entre autres, le patriarche Nick Rizzuto a dû acquiter une amende de 209 200$, en plus des impôts dus, pour avoir caché un magot de 5,2 millions en Suisse.

En tout, 137 postes syndiqués sont touchés par l'abandon de ce programme au Canada. Certains employés seront réaffectés au secteur des PME ou à celui de la TPS.

En juin, l'Agence a également annoncé qu'un autre programme était réorganisé: le Programme des enquêtes criminelles. Contrairement au Programme spécial d'exécution, le Programme des enquêtes criminelles ne cible pas les organisations criminelles à proprement parler, mais les stratagèmes d'évasion ou de fraude fiscale pouvant déboucher sur des accusations criminelles ou pénales.

Au cours de l'année budgétaire 2010-2011, 204 cas ont entraîné des condamnations pour évasion fiscale ou pour fraude. Les tribunaux ont imposé un total de 22,8 millions de dollars en amendes et 47 ans d'emprisonnement.

Ce programme verra ses bureaux diminuer de 32 à 6, indiquent les communiqués des deux syndicats, «pour concorder avec ceux du Service des poursuites pénales du Canada (SPPC) et de la GRC».

Au total, 415 postes syndiqués sont touchés par cette réorganisation, dont plusieurs au Québec. Certains employés seront mutés dans ces six bureaux pour travailler aux enquêtes, tandis que d'autres pourraient se voir offrir un simple poste en vérification. Les six bureaux seront situés à Halifax, Montréal, Ottawa, Toronto Nord, Edmonton et Vancouver.

D'autres divisions de l'Agence sont touchées, notamment le Programme de divulgation volontaire, le Programme des indices provenant de dénonciateurs et le Programme des conseillers techniques. Ce dernier est carrément abandonné.

La gestion des bureaux des services fiscaux (BSF) dans les diverses régions sera regroupée. Par exemple, le bureau de Laval devient responsable des BSF de l'Outaouais et de Rouyn-Noranda.

Certains voient d'un bon oeil la réorganisation, tandis que d'autres s'interrogent sur les risques d'abolir une source de revenus. Au gouvernement du Québec, l'Agence du revenu du Québec fait exactement l'inverse et embauche à pleine porte.

Il nous a été impossible de parler à un responsable de l'Agence du revenu du Canada au cours des deux derniers jours. Le porte-parole Noël Carisse nous a transmis un courriel en fin de journée hier.

«L'Agence du revenu du Canada doit faire sa part en vue de réduire le déficit. Étant donné que ces changements consistent principalement en une restructuration au niveau de la gestion, ils ne toucheront pas les services offerts aux Canadiens. Les ressources utilisées pour identifier et résoudre les cas de fraudes ou ceux qui tentent de tirer profit d'activités illégales ne seront pas réduites», a soutenu M. Carisse.

Le porte-parole fait valoir qu'au contraire, «les changements renforceront [les] capacités de poursuivre criminellement ceux qui commettent ces crimes liés à l'impôt», notamment grâce à une collaboration plus étroite avec la GRC et le Service des poursuites pénales du Canada.