«Je ne peux plus continuer comme ça.»

Cela fait cinq ans qu'Alejandro* n'a ni vu ni serré dans ses bras sa femme et ses trois filles.

Elles vivent au Mexique, lui à Montréal.

Alejandro est ici illégalement.

Toute la famille était venue à Montréal au début des années 2000, pour demander l'asile. Le statut de réfugié leur a été refusé, et ils se sont résignés à retourner au Mexique.

Mais la situation là-bas est invivable.

Alejandro est revenu seul, il y a cinq ans. La douane montréalaise l'a laissé entrer comme touriste. Sa femme et ses filles ont tenté de le rejoindre, plusieurs mois plus tard, mais elles ont été refusées à la frontière.

La famille vit écartelée depuis.

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Alejandro a 40 ans. Son français est limpide. Il accepte de nous raconter son histoire, car il est bien décidé à «sortir du placard».

«Si personne ne parle, personne ne nous écoutera», justifie-t-il.

Depuis cinq ans, Alejandro travaille 12 heures chaque jour que Dieu fait. Il n'a jamais pris un jour de vacances ni de maladie.

«La seule condition pour que je puisse travailler ici, c'est de me faire exploiter», constate-t-il.

Bon an, mal an, il gagne 30 000$ par année: à Montréal, ce n'est pas le travail qui manque. Il vit chichement pour envoyer chaque semaine une partie de sa paie au Mexique.

«Il y a deux systèmes parallèles: celui qui paie les impôts, et l'autre, avec la main-d'oeuvre pas chère, au noir», raconte-t-il.

«On est forcés de travailler plus que n'importe quel immigrant.»

Ces sans-papiers travaillent dans les restaurants, sur les chantiers, dans les usines ou hôtels de Montréal, recrutés parfois grâce au bouche à oreille dans leur communauté. Selon Alejandro, certaines agences sont particulièrement friandes de cas désespérés.

«Si les gens sont sur le point d'être expulsés, ils ont de bonnes chances d'être embauchés», dit-il à propos d'une agence mexicaine qu'il refuse de nommer.

Premier métro du matin, dernier métro du soir. Alejandro reconnaît parmi les travailleurs anonymes ceux qui courbent la tête et rasent les murs: les sans-papiers.

«Je peux vous dire que [les Mexicains qui restent ici sans papiers] travaillent très, très dur. Si tu prends de la drogue, de l'alcool, que tu fais la fiesta... oublie ça! C'est sûr que tu ne peux pas rester sans papiers. C'est tout simplement impossible», dit-il, catégorique.

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Après cinq années de clandestinité, Alejandro est épuisé.

Alejandro espère maintenant que d'autres sans-papiers voudront bien «sortir du placard» avec lui, pour demander au gouvernement un moratoire sur les expulsions.

«On est loin de demander le bien-être social et les avantages sociaux, argue-t-il. Mais quand on est resté ici, alors qu'on trouve toujours des portes fermées, on a les capacités pour s'adapter. On est déjà adaptés. J'espère avoir une vie normale. Parce que là, j'ai moins de droits.

«Je ne suis pas un criminel. Je ne critique pas la situation et la politique du Canada, je veux seulement sortir de ce problème. Je parle la langue, je suis un citoyen parfait. Je travaille tout le temps. Je suis sérieux et respectueux. Je ne cherche qu'à éviter les problèmes.»

*Le prénom a été modifié.