Trois ans après la plus vaste opération antimotards au Canada, baptisée SharQc, les grands procès devant jury ne sont toujours pas commencés. Or, depuis un mois, la défense a déposé pas moins de 99 requêtes préliminaires. La poursuite s'est ainsi retrouvée inondée par un déluge de demandes, dont quelques-unes plutôt inusitées.

Parmi les plus étonnantes, la défense demande que les jurés soient isolés dès leur sélection, et ce, jusqu'à la fin de ces procès pour meurtres. La poursuite s'y oppose.

Si le juge acquiesce à cette demande, cela signifie que les jurés devront vivre plus d'un an dans un hôtel, loin de leur famille. Leur sélection risque ainsi d'être compliquée.

Il est vrai qu'en vertu de la loi, l'isolement du jury (séquestration) constitue la règle. En pratique, cependant, c'est l'exception. Dès l'ouverture d'un procès, le juge ordonne la «séparation» du jury jusqu'aux délibérations. Ainsi, chaque soir, les jurés peuvent rentrer à la maison. Il leur est alors interdit de consulter les médias qui traitent de la cause.

Cette requête risque d'être présentée de plus en plus souvent, selon l'un des criminalistes au dossier, Me Marc Labelle. «Nous sommes à l'ère de l'internet, même si le juge avertit les jurés de ne pas lire le journal ou regarder la télé, il suffit d'aller sur Google pour tout savoir d'un accusé», explique l'avocat de défense.

«C'est sûr que ça va être extrêmement difficile de trouver des jurés qui accepteront d'être séquestrés si longtemps. C'est le problème de la poursuite. C'est le monstre qu'elle a créé en accusant autant de monde d'un coup», ajoute Me Labelle.

Loyer payé et vitre pare-balles

Les avocats des motards et de leurs acolytes se défendent bien de vouloir embourber le système. Ce sont les juges des premiers procès, James Brunton et Martin Vauclair, qui ont demandé que toutes les requêtes soient déposées avant le mois d'avril, disent-ils. Résultat: la Couronne en a reçu 99 en un seul mois.

À titre d'exemple, l'un des accusés de la section de Québec, Jacques Dumais, demande que l'État lui paie un loyer à Montréal durant tout le procès. En liberté sous caution, il affirme vivre trop loin de la métropole pour pouvoir voyager matin et soir.

Les motards veulent aussi faire retirer la vitre pare-balles posée devant le box des accusés. Ils trouvent que cela donne l'impression qu'ils sont dangereux. Ils ont aussi demandé d'obtenir les antécédents criminels des victimes des meurtres, bien que ces dernières ne pourront jamais être contre-interrogées sur le sujet. Ils réclament aussi les dossiers disciplinaires de certains policiers qui ont participé à l'enquête.

«Le nombre de requêtes est tout à fait normal vu le nombre d'accusés. Ça ne fait même pas une moyenne de deux requêtes par accusé. Si certaines sont exceptionnelles, c'est qu'il s'agit d'un dossier exceptionnel», affirme Me Richard Dubé, avocat d'un accusé du «chapitre» de Sherbrooke.

Au total, cinq grands procès découleront de l'opération SharQc. Les 124 accusés ont été séparés en vertu des cinq «chapitres» des Hells Angels (Sherbrooke, Québec, Montréal, South et Trois-Rivières).

D'abord inculpés de 22 meurtres, les Hells de Québec seront finalement jugés pour 6 ou 7. Ceux de Sherbrooke auront leur procès pour 9 meurtres.

Le choix du jury pour le procès des Hells de Sherbrooke doit débuter en septembre prochain, et le dernier doit se tenir en 2015.

«C'est impensable qu'un individu attende cinq ou six ans avant d'être jugé quand il est détenu. Un système qui se retrouve dans une position comme celle-là est un système malade», soutient pour sa part Me Claude Olivier, avocat d'un accusé du groupe de Montréal.

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SharQc, c'est...

> 156 motards et leurs acolytes accusés le 15 avril 2009

> Depuis, 31 ont été libérés des accusations

> Aucun grand procès n'a débuté

> Deux accusés se sont reconnus coupables, dont un a retourné sa veste

> Une quinzaine sont toujours en fuite

> Un est mort