Voir son père souffrir et se suicider. C'est l'histoire de Blêze, qui a perdu son père lors d'un suicide très public, survenu l'été dernier au palais de justice de Montréal. À l'occasion de la Semaine de prévention du suicide, qui commence aujourd'hui, il rend témoignage.

Blêze a traversé son adolescence en voyant son père souffrir, et en l'entendant répéter qu'il allait en finir.

Aujourd'hui, à 17 ans, Blêze apprend à vivre avec le fait que c'est arrivé. Son père s'est suicidé.

Dans un monde idéal, Stéphan Laurin aurait guéri et choisi la vie. Mais l'homme de 44 ans s'est suicidé le 5 juillet dernier, en se jetant d'une des rares fenêtres du 17e étage du palais de justice de Montréal. Un endroit symbolique pour celui qui s'estimait victime d'injustice.

Blêze se trouvait dans un camp de cadets de l'armée à Bagotville quand le drame est survenu. Il l'a appris quelques jours plus tard, au téléphone. «J'ai écrasé dans la boîte téléphonique, raconte le garçon. Ça a été un choc. Pas une surprise. Il m'avait dit qu'il le ferait et comment il le ferait. Il a fait comme il avait dit.»

De fait, pendant des mois, même des années, Stéphan Laurin parlait ouvertement de son suicide. Il fignolait la mise en scène pour le tomber du rideau. Il disait souffrir le martyre en raison de thrombophlébites très importantes. Il rageait de voir que les médecins ne le croyaient pas, ou pas assez, et s'emportait quand on lui refusait des médicaments.

S'il était resté en vie, Stéphan Laurin aurait subi un procès, à la cour municipale de Montréal. On l'accusait d'avoir menacé avec sa canne deux médecins de l'hôpital Saint-Luc qui le traitaient.

«Au début, ses problèmes étaient physiques. Mais après, dans sa tête, ça ne marchait plus. Il grugeait l'énergie de tout le monde», déplore le garçon.

Les parents de feu Stéphan Laurin, qui sont séparés depuis longtemps, abondent. Ils étaient totalement désemparés relativement aux souffrances de leur fils. Autrefois travaillant et plein d'entrain, il avait changé complètement depuis sa première thrombo-phlébite, selon sa mère, Arlette Aubry.

«Je l'ai vu souffrir, raconte son père, Jean-Guy Laurin, policier à la retraite. À un moment donné, il avait une jambe deux fois plus grosse que l'autre. Même la morphine ne faisait plus effet. Il n'avait plus de qualité de vie.»

«Il avait essayé deux fois de s'enlever la vie avant», glisse M. Laurin.

Les parents de Blêze se sont séparés alors qu'il était tout petit. Il a été élevé par son père. Stéphan Laurin s'occupait bien de son fils. Mais avec la souffrance et l'invalidité, il est devenu aigri, colérique, et pauvre.

«Il nous restait 100 $ par mois pour manger», se rappelle Blêze.

En décembre 2010, n'en pouvant plus, l'adolescent est allé vivre chez sa grand-mère paternelle, qui habite le même quartier. Il continuait quand même de voir régulièrement son père, qui continuait de parler de son suicide. Même les voisins étaient au courant.

Internement

En juin dernier, Blêze a parlé du sombre projet de son père à une psychoéducatrice de son école, en qui il avait confiance. «Elle m'a dit qu'elle avait le devoir de le signaler. Je lui ai dit que ça ne donnerait rien, parce qu'il voulait vraiment le faire. Elle a appelé devant moi», se souvient le garçon.

Les policiers sont allés cueillir Stéphan Laurin chez lui et l'ont emmené à l'hôpital Jean-Talon, où il a été hospitalisé en psychiatrie. On l'aurait gardé environ huit jours. Blêze est allé le voir pendant son séjour. Il ne l'a pas trouvé bien du tout. «Il s'était chicané avec un patient, il faisait une grève de la faim.»

Stéphan Laurin a reçu son congé de l'hôpital le jour de la Fête nationale.

Onze jours plus tard, il a mis fin à ses jours.

«Même si physiquement je ressemble beaucoup à mon père, on est deux êtres complètement différents. Je sais que je ne suis pas comme lui. J'ai toute la vie devant moi», lance Blêze. Attablé dans un petit restaurant vietnamien de la rue Jarry, le fils de feu Stéphan Laurin se régale.

Avoir le goût de la vie malgré l'immense vide laissé par le suicide d'un parent, ce n'est pas évident. Surtout quand on est enfant unique. Blêze donne sa recette personnelle: passer du temps avec ses proches, demander de l'aide au besoin, s'accrocher à son rêve de faire partie des Forces armées et parler de son père sans cacher la vérité.

«Quand on me demande ce que mon père fait, je le dis. Je n'ai pas honte de ça. C'est mieux d'en parler. Ça ne doit pas rester dans l'ombre», estime-t-il.

Quand il a appris la nouvelle l'été dernier, Blêze aurait pu quitter le camp des cadets et rentrer à Montréal. Mais il n'a pas voulu. Il est resté pour les six semaines, comme prévu. Il y a trouvé du réconfort. «J'ai été bien entouré», dit-il.

Les funérailles ont eu lieu en août, après son retour du camp. Il considère que ça s'est bien passé. C'est plus tard qu'il a connu un passage à vide.

«C'était le 30 octobre, le jour de sa fête. Mon père aurait eu 45 ans. J'ai pensé beaucoup à lui cette journée-là. Le midi, je me suis chicané avec quelqu'un. Je voyais les gens autour pris avec des problèmes financiers. Je me disais que le seul qui était bien, c'était mon père.»

Ce jour-là, Blêze a flirté avec l'idée d'en finir lui aussi.

Heureusement, le garçon a eu le réflexe de demander de l'aide et a été pris en charge à l'hôpital Sainte-Justine. Aujourd'hui, il voit régulièrement un psychologue au CLSC de son quartier, ce qui l'aide à cheminer dans son deuil. «C'est aux gens seuls que ça arrive», dit-il.

Un but

La vie a ravi le père de Blêze, mais elle lui a donné quelque chose que bien des jeunes n'ont pas encore à cet âge: un but, un rêve. Il veut finir son secondaire et entrer dans les Forces armées. Au cours des quatre dernières années, les plus difficiles de sa jeune vie, il fréquentait les cadets. Il s'y sent à l'aise, apprécie l'encadrement qu'il y trouve. «Je me vois passer ma vie là-dedans», dit-il.

La mort de Stéphan Laurin surligne les limites de la médecine et de la psychiatrie. Bien sûr, Blêze aurait mille fois préféré que son père guérisse et reste en vie. Mais il assure qu'il ne lui en veut pas. «Ce n'est pas comme s'il l'avait fait pour rien», dit-il gravement. L'adolescent trouve une consolation dans la pensée que son père ne souffre plus.

«Des bons souvenirs avec lui, j'en ai plein, lance-t-il avec de l'éclat dans les yeux. Les fois qu'on jouait ensemble. Et quand on est allés camper dans le Nord.»

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Suicide Action (pour gens de l'extérieur): 1-866-277-3553

Reproduction La Presse

Blêze et son père Stéphan.