L'escouade Marteau mène depuis plusieurs mois une enquête après avoir reçu des enregistrements de conversations d'actuels et anciens dirigeants de la FTQ-Construction, au sujet d'une rencontre entre le président de la FTQ, Michel Arsenault, et les émissaires d'une société liée à la mafia, a appris La Presse.

C'est le cabinet de la ministre du Travail, Lise Thériault, qui a transmis à la police ces informations qualifiées de «sensibles» et obtenues d'une source confidentielle.

«On a reçu des enregistrements [audio] provenant du cabinet de la ministre. À la suite de ça, on a ouvert une enquête et celle-ci est encore active», confirme le lieutenant Guy Lapointe, de la Sûreté du Québec.

La Presse a eu accès à certains de ces enregistrements. Au moins l'un d'eux laisse croire qu'en 2010, Bernard Girard, vice-président exécutif de la FTQ-Construction, et Jean Lavallée, un ex-dirigeant du même syndicat, auraient rédigé de faux témoignages pour nier une tentative de corruption de M. Arsenault par des dirigeants de la société Carboneutre.

Cette firme de décontamination de l'est de Montréal est dirigée par des membres de la famille Arcuri. Le principal dirigeant, Domenic Arcuri, est considéré par la police comme un membre de la mafia lié au clan Rizzuto.



300 000 $ sur la table

Au printemps 2008, les dirigeants de Carboneutre ont obtenu un rendez-vous avec Michel Arsenault parce qu'ils cherchaient à obtenir un investissement de 5 millions du Fonds de solidarité dans leur entreprise.

Étaient présents un «Ita-lien» non nommé ainsi que Jocelyn Dupuis, qui était à l'époque à la fois directeur général de la FTQ-Construction et un des représentants de Carboneutre.

Selon les enregistrements transmis à la police, c'est à cette occasion qu'un des émissaires aurait posé une mallette contenant 300 000 $ sur le bureau du chef syndical. M. Arsenault aurait immédiatement mis fin à la conversation, affirme une de nos sources.

Certains passages des documents sonores indiquent que Michel Arsenault aurait relaté cette histoire troublante en août 2008 à Jean Lavallée, à Bernard Girard et à Ken Pereira, alors président de la section locale 1981.

Pour sa part, Michel Arsenault a toujours nié cette histoire de tentative de corruption.

En octobre 2010, La Presse a fait état de la rencontre avec des dirigeants de Carboneutre, sans toutefois révéler l'épisode de la tentative de corruption.

Dans un courriel adressé à La Presse, le porte-parole de la FTQ a alors écrit: «M. Arsenault nie avoir rencontré sciemment des représentants d'une entreprise liée à la mafia.»

Faux témoignage?

Le mois suivant, le patron de la FTQ a déclaré, en conférence de presse: «Je n'ai jamais eu d'offre de pot-de-vin de quelque nature que ce soit. Je n'ai jamais eu connaissance d'offres à des dirigeants de la FTQ. Je n'ai jamais, jamais eu d'offre de 300 000 $ sur ma table et je n'ai jamais dit à personne avoir reçu une telle offre.»

C'est peu après cette conférence de presse que Bernard Girard et Jean Lavallée auraient rédigé les fameux affidavits (déclarations sous serment) appuyant les dénégations de M. Arsenault.

Or, sur l'un de ces enregistrements actuellement entre les mains de la police, qui daterait de mai dernier, on entend Bernard Girard déclarer avoir «nié» publiquement que Michel Arsenault ait pu lui raconter l'épisode des 300 000$ parce qu'il ne voulait pas «mettre de marde là-dedans» et que sa priorité était de «protéger son local» et «ses membres».

Puis, son interlocuteur lui dit: «Pour sauver son cul, Arsenault, il met toi puis Johnny Lavallée complices en te faisant signer un affidavit...»

«Je sais bien, réplique Bernard Girard, je sais bien. Regarde, pour moi, c'est du passé. J'ai essayé d'avancer à travers ça et puis moi, je ne parle pas aux journaux.»

En entrevue avec La Presse, Bernard Girard confirme avoir rempli une déclaration sous serment à la demande de Michel Arsenault, mais il maintient que ce qu'il a écrit dans ce document demeure vrai.

Rédiger un faux témoignage est une infraction selon le Code criminel. «Si j'ai fait un faux affidavit, je serai puni, mais j'ai la conscience tranquille. La police viendra m'interroger et je répondrai», nous a dit M. Girard.

À la FTQ, on estime «ridicule et vexatoire d'insinuer que M. Arsenault ait pu suggérer à qui que ce soit de faire de fausses déclarations assermentées». «Cela est d'autant plus ridicule que vous savez que les histoires d'offres de pot-de-vin dans ce dossier sont sans aucun fondement», a déclaré le porte-parole, Jean Laverdière, dans un courriel. «Le dossier Carboneutre a par ailleurs été rejeté par le Fonds de solidarité, ajoute-t-il, preuve de l'efficacité des équipes multidisciplinaires du Fonds de solidarité FTQ.»

Informations sensibles

Ces révélations surviennent alors que le torchon brûle entre la ministre du Travail, Lise Thériault, et le président de la FTQ, Michel Arsenault, à propos de la loi 33 qui abolit le placement syndical dans l'industrie de la construction.

Toutefois, l'attaché de presse de la ministre, Charles Robert, soutient que jamais la ministre et son entourage n'ont été informés de la nature des «informations sensibles» transmises à la police. «L'attaché politique en a pris connaissance, mais le cabinet de la ministre n'étant pas habilité à traiter ça, il l'a remis à l'opération Marteau. La directrice de cabinet de la ministre a été informée de la démarche [auprès de la police], explique M. Robert, mais pas du contenu. La ministre ne sait pas ce qu'il y a dedans [les documents et enregistrements].»

En mai 2010, Radio-Canada a diffusé les témoignages de trois entrepreneurs qui affirmaient que Jocelyn Dupuis et Jean Lavallée leur avaient réclamé des pots-de-vin en échange d'une participation du Fonds FTQ dans leurs projets.

La Sûreté du Québec enquête aussi depuis octobre 2010 sur Carboneutre, à la suite d'une enquête de La Presse.

Quant à Jocelyn Dupuis, il a été forcé de quitter la FTQ en septembre 2008 à la suite d'un scandale de notes de frais gonflées. Arrêté en 2010, il aura son procès en 2012, entre autres pour fraude et fabrication de faux documents.

Domenic Arcuri n'a pas rappelé La Presse.