Il y a un an jour pour jour, la vie d'Hélène Leduc a basculé. Alors qu'elle travaillait seule à la SAQ de Baie-d'Urfé, deux hommes sont entrés dans la succursale et lui ont tiré une balle dans la nuque, presque sans avertissement, avant de repartir. Un crime gratuit, toujours inexpliqué. Pour la première fois, elle a accepté de parler publiquement de son épreuve.

«Tourne-toi. Mets-toi à genoux. Nous ne te ferons pas mal.»

Ces mots hantent la mémoire douloureuse d'Hélène Leduc, employée de la Société des alcools du Québec devenue tétraplégique à la suite d'une tentative de meurtre à la succursale de Baie-d'Urfé.

C'était le 18 octobre 2010, il y a un an jour pour jour. Un lundi qui promettait d'être comme les autres pour Hélène Leduc, 59 ans, employée de la SAQ depuis 11 ans. Un lundi qui s'est terminé dans le sang et la douleur.

Clouée à son fauteuil roulant, la mère de famille, qui n'avait encore jamais pris la parole publiquement, a raconté pour la première fois sa tragédie. Elle l'a fait en commençant par un avertissement: «Vivez chaque moment intensément. Ne tenez rien pour acquis. Parce qu'on ne sait jamais, du jour au lendemain, ce qui peut arriver. C'est lundi, vous allez travailler comme d'habitude, vous ne pensez pas à autre chose. Tout est tranquille. Puis, à 12h05, votre vie est complètement changée.»

C'est une femme à la fois forte et meurtrie qui nous accueille dans le salon du centre de soins de longue durée où elle est confinée. Cheveux gris coupés en brosse, regard profond et triste. Et une certaine dignité jusqu'au bout de ses ongles, joliment couverts d'un vernis couleur framboise.

Elle n'a plus de corps, comme elle le dit elle-même. Mais elle a toute sa tête. Elle se souvient qu'à midi, alors qu'elle était seule dans le magasin, elle s'apprêtait à aller dans l'entrepôt, à l'arrière. Deux clients sont arrivés. Elle est revenue sur ses pas. «Est-ce que je peux vous aider?»

Les hommes étaient armés. «En voyant le fusil, je me suis dit: Oh! mon Dieu! Qu'est-ce que je fais maintenant?»

Ils parlaient anglais. «Turn around. Get on your knees. We won't hurt you.» Elle a cru qu'ils allaient l'assommer avec la crosse du fusil, voler ce qu'ils voulaient voler et partir. Elle ne s'imaginait pas recevoir une balle dans la nuque. «Je ne savais pas qu'ils avaient tiré. Quand je me suis réveillée, presque tout de suite après, je ne pouvais pas bouger.»

Un client qu'elle connaissait bien est arrivé le premier sur la scène du crime. C'est lui qui a appelé le 911. «Tout ce dont je me souviens, c'est la douleur. J'avais comme une bosse qui sortait dans le dos, entre les omoplates, et qui frottait sur le plancher. Ça me faisait MAL», dit-elle en pesant ses mots. Elle essayait de prendre de grandes respirations pour rester calme. Mais c'était pire. Quand elle expirait, la douleur était atroce.

Des vies bouleversées

Transportée d'urgence à l'hôpital du Sacré-Coeur, Hélène Leduc n'a plus jamais pu rentrer chez elle. Sa moelle épinière avait été atteinte. Elle n'a plus jamais pu marcher. Elle n'a plus jamais pu prendre dans ses bras ceux qu'elle aime. Elle qui avait enfin la vie paisible dont elle rêvait a tout perdu d'un coup. Une tragédie autant pour elle que pour ses trois enfants et ses quatre petits-enfants.

Ses enfants ont toujours envie de pleurer quand ils la voient, dit-elle. Ses petits-enfants voient bien que la grand-maman gâteau de bonne humeur qui jouait et dansait avec eux n'est plus la même. «Je ne suis pas capable de les caresser. Je ne suis pas capable de tenir leur petit visage et de les embrasser», dit-elle. Dans son regard, une tristesse infinie.

Ce qui lui manque le plus? «Tout!» Sa vie «normale» de femme de 59 ans, qui n'avait pas d'ennemis. Son quotidien. Se lever le matin dans son appartement. Préparer du thé. Faire ses «petites choses». Mitonner un souper pour sa famille ou ses amis.

Elle qui a toujours aimé aider les autres a bien du mal à endurer l'état de dépendance dont elle est prisonnière. «Elle levait des caisses comme un homme. Elle était très, très forte», raconte une de ses amies. Elle a l'impression qu'on lui a volé sa vie, sa liberté de mouvement. «Je n'ai plus de corps. Je n'ai plus de mains. Je n'ai plus de doigts. C'est très difficile.» Elle doit demander de l'aide pour le moindre geste. Se gratter, se moucher, manger... «Toutes ces petites choses-là, je donnerais n'importe quoi pour être capable de les faire. Juste étirer mon bras... Toucher un bouton d'ordinateur...»

Elle a toujours froid, même l'été quand il fait chaud. Dans ses pires journées, elle se dit qu'elle aurait été mieux morte. «Pourquoi ils ont manqué leur coup? , se demande-t-elle. Tant qu'à me laisser comme ça, ils auraient pu au moins réussir ça. Ils ont fait une tentative de vol. Ils ont manqué leur coup. Et ils m'ont ratée, moi. Si jamais je pouvais les voir, je leur dirais juste une chose: "Je vous souhaite la même chose, ni plus ni moins, que ce que vous m'avez fait. Voir si tu peux vivre comme ça..."»

Un an après le drame, les agresseurs courent toujours et les témoins manquent à l'appel. Le mystère demeure entier quant au mobile du crime. Tentative de vol? Peut-être. Mais pourquoi alors les voleurs qui avaient le magasin à eux seuls n'ont-ils rien volé? Crime lié aux gangs de rue? Rite d'initiation macabre? Bien des gens croient que ce pourrait être le cas. Hélène Leduc n'en sait rien. «Est-ce que c'est vrai? On me pose la question. Mais la dernière personne qui peut le savoir, c'est celle qui était par terre...»

Pense-t-elle que la tragédie aurait pu être évitée si elle ne travaillait pas seule ce jour-là? «Plus nombreux on est, mieux c'est. Mais est-ce que ça aurait changé les événements? Je n'en ai aucune espèce d'idée. J'ai vu les deux hommes. J'ai vu le fusil. Je n'ai rien vu après ça...»

«Mieux encadrer» le travail en solo

À la suite de l'agression armée de Baie-d'Urfé, la SAQ a mis en place une série de mesures pour améliorer la sécurité de ses employés. Toutefois, pour des raisons de rentabilité, la direction a refusé d'abandonner le travail en solo, proposant plutôt de mieux l'encadrer. Une décision qui déçoit le syndicat des employés de la SAQ qui rappelle que les employés des magasins qui vendent de l'alcool figurent dans le triste palmarès des travailleurs les plus exposés aux incidents violents, aux côtés des chauffeurs de taxi, des employés des dépanneurs, des stations-service et des pharmacies.

Même si tout lui rappelle le crime gratuit dont elle a été victime, Hélène Leduc essaie de garder espoir. Ce qui la raccroche à la vie? Ses enfants et ses petits-enfants. Les amis et les infirmières qui l'aident à garder le moral. Comme Robert, ce bénévole qui reste fidèlement à ses côtés et qu'elle appelle «son ange». Et Béatrice, l'infirmière auxiliaire qui veille à son bien-être. «Ils me poussent sans me pousser», dit-elle.

Son souhait le plus cher? Obtenir une place au CHSLD Vaudreuil-Soulanges, pour pouvoir se rapprocher de sa famille. On lui a dit qu'il y avait trois ans d'attente. Elle trouve l'attente bien cruelle.

Aujourd'hui, Hélène Leduc compte retourner pour la première fois sur les lieux du drame. Elle veut saluer ses collègues de la succursale de Baie-d'Urfé, un lieu de travail qu'elle adorait.

«J'ai hâte.» Elle sait que certains ont peur de la revoir, peur de lui poser une question aussi banale que: «Comment ça va, Hélène?»

C'est très correct de poser cette question, dit-elle. Quant aux questions trop difficiles, elle se réserve le droit de ne pas y répondre. «Je ne veux pas pleurer. Si je pleure, ça prend quelqu'un pour essuyer mes yeux chaque fois, essayer de me moucher le nez. Ça, je ne veux pas. Ça me gêne, ça me met hors de moi.»