La petite communauté tunisienne de Montréal est en effervescence. Pour la première fois de son histoire, elle est courtisée dans le cadre d'une campagne électorale libre, de cafés en restaurants en passant par des barbecues et des tournois de soccer. La Presse a suivi quelques-uns des candidats.

Dans un restaurant maghrébin du boulevard Saint-Laurent, jeudi soir dernier, une vingtaine de Tunisiens font ce qui était encore impensable il y a 10 mois. Ils parlent politique. En public.

L'air embaume le tabac sucré qu'aspirent quelques fumeurs de narguilé. Sur la scène, on débat posément de la place de l'islam dans la constitution, des droits civiques et surtout d'emplois. De temps en temps, des éclats de voix dans la salle rappellent que certains sujets sont encore sensibles. Notamment la réconciliation avec les ex-partisans du président déchu, Ben Ali.

«Avant le 14 janvier, c'était difficile de trouver un Tunisien pour faire n'importe quel débat, dit Lamine Foura, président de la radio Médias Maghreb et organisateur de la rencontre au restaurant Le Riyad. Aujourd'hui, on peut avoir des avis extrémistes, être laïc ou islamiste et avoir une discussion civilisée.»

La campagne électorale tunisienne, qui vise à nommer 217 représentants dont deux en provenance notamment du Canada, bat actuellement son plein à Montréal. Les quelque 15 000 Tunisiens d'ici iront aux urnes du 20 au 22 octobre prochains.

«Tout se déroule dans le calme, ce qui démontre que les Tunisiens sont civilisés, que nous sommes prêts pour la démocratie et un État de droit», affirme Jamal Jani, candidat principal du Parti démocrate progressiste (PDP). Ce parti centriste est donné deuxième par la plupart des sondages, derrière les islamistes modérés d'Ennahdha, crédités d'environ 20% des intentions de vote. Le tiers des Tunisiens n'auraient toutefois pas encore pris leur décision.

L'assemblée qui résultera de ce système électoral complexe sera très éclatée. Elle aura la tâche de rédiger la constitution de la Tunisie et de désigner un président et un gouvernement intérimaire.

Mohamed Zrig, candidat d'Ennahdha au Canada, rappelle que cette assemblée sera dissoute après un an. «Le but de la prochaine élection, ce n'est pas d'être au pouvoir. Nous voulons nous associer à tous ceux qui veulent le bien de la Tunisie.»

Rencontré dans l'épicerie tunisienne par excellence à Montréal, L'Olivier, M. Jani, un militant de longue date des droits de l'homme, sourit quand on lui demande si la campagne intéresse les Tunisiens. «Durant toutes ces années de manifestations contre le régime Ben Ali, j'ai réussi une fois à attirer 40 personnes, en juin 2001. Samedi dernier, pour un débat par un bel après-midi ensoleillé, il y en avait 200!»

À l'autre bout de la rue Jean-Talon, dans le café Sidi Bou Saïd en plein Petit Maghreb, Hamadi Agrebi serre les mains des clients. Candidat indépendant, propriétaire d'un bimensuel montréalais en langue arabe, il assure se faire le porteur du ras-le-bol des électeurs à l'égard des partis. «Nous en avons eu deux depuis l'indépendance, regardez ce qu'ils ont fait: une dictature.»

Ali Guidara, représentant du Congrès pour la République, un autre important acteur centriste sur l'échiquier tunisien, fait un aveu rafraîchissant: «Nous ne prétendons pas avoir assez de monde ou de compétence pour gérer le pays à nous tout seuls. Nous proposons un gouvernement d'union nationale, qui bâtira son programme à partir des meilleurs éléments des autres partis.»

Quelle que soit leur allégeance, les Tunisiens «n'ont pas le droit de manquer leur coup cette fois-ci», estime Jamal Jani.