Cet hiver, quand le public a appris que la Rôtisserie Laurier allait fermer ses portes pour se transformer, les files d'attente y sont revenues. Comme si l'annonce de la disparition d'une institution de la métropole, telle qu'on la connaissait, avait ravivé nos liens émotionnels avec le vieux commerce. Montréal compte de nombreux classiques de ce genre auxquels nous sommes attachés, qui protègent et entretiennent nos souvenirs tout en ancrant la mémoire de la ville. Marie-Claude Lortie et Jean-Christophe Laurence en ont choisi quelques-uns et nous les présenteront chaque semaine durant l'été. Aujourd'hui, visite chez Henri Henri, chapelier d'avant-guerre.

Il y a 20 ans, les dermatologues de Montréal envoyaient environ deux clients par été chez Henri Henri, pour qu'ils s'achètent vivement un chapeau, histoire de se protéger la peau des vilains rayons UV.

Aujourd'hui, le chapelier de la rue Sainte-Catherine en reçoit deux par semaine, en plus de tout le reste de sa clientèle régulière, touristes, messieurs d'un certain âge, vedettes de passage et hipsters en quête de «petits bords» inclus.

Chez Henri Henri, on ne s'en plaindra pas. Les Borsalino, Stetson, Mayer et autres panamas empilés sur les étagères anciennes ne demandent pas mieux que de jouer leur rôle de couvre-chef. Efficacement.

Entrer dans ce commerce furieusement rétro, avec son mobilier d'origine, a quelque chose de cinématographique. On pense à Scorcese. À Coppola. À tous ceux qui ont filmé l'Amérique des années 30 ou 40 avec amour et réalisme. Sur les empilades de feutres, les étiquettes indiquant les tailles sont les mêmes que jadis. Même la gentillesse sans éclat des vendeurs a quelque chose de joliment suranné.

Fondé en 1932, Henri Henri est aujourd'hui piloté par Jean-Marc Lefebvre, petit-fils de son cofondateur, Albert Lefebvre, dont le père possédait lui aussi une boutique de chapeaux. Honorius Henri, l'autre cofondateur, a laissé quant à lui son nom au vénérable établissement. Henri Henri. «Ils trouvaient ça chic», explique le jeune Lefebvre. À l'époque, un Borsalino coûtait entre 5$ et 10$. Maintenant, il faut compter au moins 300$. Toutefois, si vous payez comptant, on utilisera la caisse enregistreuse originale des débuts de la boutique.

Plus grand commerce spécialisé en chapeaux pour hommes du Canada, Henri Henri est une vraie institution. Un classique qui a traversé les âges en restant totalement concentré sur sa spécialité. Bien sûr, on y vend aujourd'hui des casquettes et des chapeaux pour dames - quelques-uns seulement -, mais c'est vraiment pour ses feutres dignes d'Al Capone que sa clientèle s'y rend précisément (d'ailleurs, jadis, la boutique comptait quelques vrais mafiosi parmi ses clients, admet le propriétaire...).

«Notre clientèle a entre 15 et 70 ans et plus», explique M. Lefebvre. Les femmes qui aiment bien le look masculin des années 40 en font partie, inspirées par les Britney Spears, Beyonce et Scarlett Johansson, amatrices du style. Chez les hommes, les acteurs ne font pas que donner des idées aux clients, ils se rendent carrément en magasin. Kiefer et Donald Sutherland, Bruce Willis, Robert De Niro, Alec Baldwin, John Travolta, Gene Hackman... Tous y ont acheté des chapeaux, souvenirs de leur passage à Montréal. «Mon père, André, a même servi Marlon Brando», ajoute le propriétaire.

Pour ses hauts de forme et melons plus excentriques, la boutique compte sur les costumiers dans le milieu du cinéma, du théâtre ou sur le Cirque du Soleil. Et pour ses stingy brims de couleur ou à carreaux, il y a bien sûr les hipsters... Eh oui, la mode des cheveux très courts qui laissent les crânes au vent et au soleil ne nuit pas non plus.

Le tour du chapeau

Ce qui a rendu la boutique célèbre, cependant, ce n'est pas la présence des Cotroni parmi les clients dans les années 70 ou la visite occasionnelle de quelques politiciens. Ce qui a vraiment inscrit la boutique dans la mémoire collective, c'est une tradition liée au hockey. Dans les années 50, la boutique a en effet commencé à prendre l'expression «tour du chapeau» au pied de la lettre, en remettant un chapeau à tous les joueurs de hockey qui comptaient trois buts dans une même partie. Maurice Richard en a eu quelques-uns...

Aujourd'hui, Henri Henri ne distribue plus de couvre-chef aux compteurs efficaces. Mais il reçoit des chapeaux de partout pour les réparer. Dans le sous-sol de la boutique, on recule en effet encore un peu plus dans le temps et on pense presque à Émile Zola en découvrant un équipement d'une autre époque d'une grande rareté: des formes en bois, des moules, des machines à vapeur qui permettent de nettoyer, de reformer les «tuques» et de les rebloquer. Ainsi, les chapeaux peuvent être (presque) remis à neuf.

«On travaille avec les mêmes équipements que dans les années 30, peut-être même avant», explique M. Lefebvre, qui rachète régulièrement les outils des chapeliers qui ferment boutique ou cessent leurs activités d'entretien et de réparation.

«Alors oui, on a toujours la même caisse qu'en 1932, mais on est aussi sur l'internet et Facebook pour que ces clients, qui cherchent notre spécialité, puissent nous trouver.»

Mais lorsqu'ils appellent, on leur répond sur un téléphone à roulette.