Pour son anniversaire, le 31 janvier dernier, Cicilia Laurent a reçu des cartes de souhaits de ses députés provincial et fédéral, du maire de Laval, Gilles Vaillancourt, du chef de l'opposition Michael Ignatieff et même de la reine Élisabeth II. L'occasion était exceptionnelle: ce n'est pas tous les jours qu'un citoyen fête ses 115 ans.

La femme d'origine haïtienne avait eu son plus beau cadeau de fête quatre jours plus tôt, dans les bureaux d'Immigration Canada, quand elle a obtenu officiellement sa résidence permanente. «C'était touchant. Les gens présents étaient tous autour d'elle pour l'applaudir», raconte son petit-fils, Ronald Chery.

Cicilia Laurent est peut-être la personne la plus vieille de la planète. Alors qu'elle fêtait ses 115 ans, le 31 janvier, une dépêche de l'Agence France-Presse a indiqué que «la doyenne du monde» était décédée à son domicile du Texas. «Eunice Sanborn détenait le titre de plus vieille femme du monde depuis le décès, le 4 novembre 2010 à l'âge de 114 ans, de la religieuse française Eugénie Blanchard», a souligné l'article.

En se fiant aux données du Gerontology Research Group, établi aux États-Unis, l'AFP a rapporté qu'une autre Américaine, Besse Cooper, née le 26 août 1896, était désormais la nouvelle doyenne de l'humanité. Cela serait faux, puisque Cicilia Laurent est née six mois plus tôt, le 31 janvier 1896, comme en témoigne son acte de naissance.

Quoi qu'il en soit, Mme Laurent - que nous avons rencontrée dans la maison de sa famille, à Laval - est en grande forme. Ses proches lui parlent très fort en créole pour se faire comprendre, mais «Grann», comme tous l'appellent, n'est pas en fauteuil roulant et se déplace avec une canne. C'est une femme ricaneuse et coquette, qui aime regarder les dessins animés et les films d'action à la télévision.

Cicilia Laurent a eu six enfants. Son mari était propriétaire de terres agricoles, alors qu'elle faisait le commerce de cosmétiques et de vêtements. Quand on demande à sa fille, Violette Jean, depuis quand sa mère est veuve, elle éclate de rire: «Je ne sais pas, ça fait très longtemps!»

Cicilia Laurent est arrivée au Canada dans les semaines suivant le séisme qui a ravagé son pays. Tout juste après la catastrophe, son petit-fils Ronald Chery, qui travaille pour le Centre d'aide pour le développement des jeunes et des personnes âgées démunies (CADJ), a rencontré la députée libérale de Laval-Les Îles, Raymonde Folco, pour des raisons professionnelles. Cette dernière lui a alors demandé à tout hasard s'il avait de la famille en Haïti. Il lui a dit que sa grand-mère de 114 ans avait survécu au séisme et Mme Folco a facilité le processus pour que la rescapée centenaire rejoigne les membres de sa famille à Laval.

«Grâce à Dieu»

Cicilia Laurent prie matin, midi et soir. Certaines personnes de la communauté haïtienne pensent qu'elle a des dons et demandent à la voir pour qu'elle abrège leurs souffrances ou qu'elle prie pour eux. «Elle adore les gens, elle a la joie de vivre. C'est une personne très spéciale et elle n'a pas besoin de connaître une personne pour donner», dit son petit-fils. «Ma mère aime tout le monde et elle donne de bons conseils matrimoniaux», renchérit sa fille, Violette Jean.

Le secret de sa longévité? Prier et manger des aliments naturels. Et quand des gens de son église lui disent qu'elle a des points en commun avec le frère André qui faisait des miracles, elle répond: «Je ne le connais pas.»

Mme Laurent aime raconter des histoires: celles de tous les présidents haïtiens ou encore énumérer la liste de tous ses arrière-petits-enfants. «J'en ai plein en France, aux États-Unis, au Canada et en Haïti», dit-elle.

Quand la terre a tremblé à Port-au-Prince, le 12 janvier 2010, Mme Laurent était en train de prier. Elle ne s'est aperçue de rien et un voisin est allé la mettre en sécurité.

«Si je respire encore, c'est grâce à Dieu», dit-elle aujourd'hui.

Mme Laurent a une foi inébranlable en Dieu. «Elle préfère prier plutôt que manger. Et elle n'aime pas aller chez le docteur», explique son petit-fils. «Je prie pour mes arrière-petits-enfants qui sont toujours en Haïti. Je prie pour que Dieu ouvre une porte pour qu'ils viennent ici. Je m'ennuie d'eux», confie Mme Laurent.

Et sa nouvelle vie? «J'adore le Canada, c'est un beau pays. Ici, il fait froid, mais c'est parce que Port-au-Prince est plus au sud», explique-t-elle, en montrant les collants de laine qu'elle porte en dessous de sa jupe.

Mme Laurent habite avec sa famille à Laval. Quand Jean-Claude Duvalier est retourné en Haïti, sa fille et son petit-fils ont préféré ne pas la mettre au courant. «On la protège des mauvaises nouvelles, explique M. Chery. On reste dans le positif avec elle.»

Mme Laurent rit sans cesse et elle aime toucher les gens. Elle a flatté les cheveux de la journaliste et du photographe de La Presse pour les bénir. Elle avait fait de même avec les gens présents lors de la cérémonie organisée par Immigration Canada quand elle a obtenu sa résidence permanente.

Une page d'histoire

Cicilia Laurent est une page d'histoire. Pendant sa vie, du XIXe au XXIe siècle, son pays a vécu sous l'occupation américaine puis sous la dictature. Ailleurs dans le monde, il y a eu deux guerres mondiales, plusieurs crises économiques, et la société s'est transformée avec l'arrivée de la télévision, de l'internet, etc.

Mais pour la femme de 115 ans, il n'y a qu'un secret pour surmonter les épreuves. Un secret qui passe l'épreuve du temps: « Être honnête et respecter les autres», répète-t-elle sans cesse.

C'est bien l'une des rares choses qui n'auront pas changé au cours de sa vie.