Oubliez les parcs, les bars ou les fonds de ruelle. On peut aussi se commander de la «mari» chez soi, comme on se fait livrer de la pizza. Ni vu ni connu. Tranquille en pantoufles.

Pendant 15 ans, Marc et François (prénoms fictifs) ont offert un service de livraison de cannabis à domicile. L'affaire s'est avérée très lucrative. Tout le trafic se faisait par téléavertisseur interposé. Un coup de fil. Un numéro de téléphone. Et en une heure, le «colis» était livré.

«On n'était pas des bums de parc, explique Marc. Aller chez les gens, c'est beaucoup plus sûr que de vendre dans un parc. On voit les clients dans leur environnement. Ça crée un autre rapport. Et puis, c'est plus facile de barrer les indésirables.»

Marc et François ont commencé à livrer de la drogue dans la jeune vingtaine. D'abord en vélo et en patins à roulettes, puis en voiture, au fur et à mesure que leur clientèle et leur territoire s'agrandissaient. D'abord concentré sur le Plateau, leur territoire d'affaires s'est étendu du boulevard Pie-IX à Décarie.

Pendant les bonnes années, le tandem comptait près de 1200 clients et pouvait faire jusqu'à 35 livraisons par jour, en travaillant huit heures par jour, sept jours par semaine. Après le 11 septembre, les frontières se sont resserrées et les affaires ont diminué, se stabilisant autour de 400 clients.

Pour le contact humain

De toute façon, Marc et François n'ont jamais «pensé» leur entreprise en termes capitalistes. Ils étaient surtout intéressés par le contact humain et la convivialité qui venait avec le job. Composée de comédiens, de musiciens, de juges, d'avocats, de psychologues, de petits couples tranquilles et même de femmes de policiers (qui appelaient pour le mari, disent-ils!), leur clientèle plutôt «branchée» n'avait rien de la faune inquiétante qu'on s'imagine.

«C'était relax. On se faisait offrir une tasse de thé», résume Marc. «Oui, de ce côté, on a été choyés, ajoute François. C'était la partie ludique de l'affaire. En ce qui me concerne, c'est ce qui m'a permis de faire ça si longtemps.»

À les entendre, ce petit trafic n'a été qu'une partie de plaisir. Et pourtant. Nos deux livreurs pouvaient traîner jusqu'à six livres de ganja dans leur auto. Étaient-ils conscients des risques? «Bien sûr, mais on n'a jamais vraiment eu peur de se faire prendre», lance François.

À deux reprises, ils sont pourtant passés près. François s'est fait interpeller par la police parce qu'il circulait de façon suspecte dans un quartier. Marc, de son côté, a été arrêté alors qu'il venait de brûler un feu rouge avec un permis temporaire. Dans les deux cas, ils n'ont reçu que de simples amendes pour leurs infractions. «Il faut croire qu'on n'avait pas le profil type du livreur de pot.»

Rendre service

L'un et l'autre se vantent de ne s'être jamais ravitaillés chez les Hells Angels. Ils avaient leur propre réseau de fournisseurs indépendants. S'ils admettent avoir été une «petite mafia», ils n'ont toujours exploité leur PME que de façon artisanale. «L'idée n'était pas de faire ça contre le système, mais de faire plaisir à du monde, observe François. Personnellement, j'avais surtout l'impression de rendre service.»

Avec le temps, Marc et François ont vieilli et leur clientèle aussi. Même si les affaires continuaient de rouler, le téléavertisseur sonnait moins souvent. D'autres «entreprises» concurrentes se sont aussi créées, provoquant une fragmentation du marché. De 35, les livraisons étaient passées à 15 par jour.

Au cours de l'été, le tandem a finalement décidé de passer à autre chose et de fermer boutique. «Pendant toutes ces années, dit François, on n'a eu ni patron ni horaires. On a payé nos factures, on a vécu. Et on a rencontré des tas de gens intéressants. Je n'ai aucun regret ni aucun remords...»