En 1979, quatre fougueux comédiens franco-ontariens fondent une troupe à Rockland, dans l'Est ontarien.

La décision en est avant tout une de nécessité, pour présenter leur création Les murs de nos villages. Sans le savoir, ils venaient toutefois de mettre sur pied une importante institution culturelle de l'Ontario français. Trente ans plus tard, le Théâtre de la Vieille 17 fait toujours rayonner la parole franco-ontarienne.

Robert Bellefeuille, Jean-Marc Dalpé, Roch Castonguay et Lise L. Roy ne cherchaient qu'une tribune pour mettre en valeur leur passion. La piqûre du théâtre, contagieuse, devait s'exprimer.

Un nom «temporaire»

«Nous venions de terminer nos études au Conservatoire [d'art dramatique] de Québec et nous avions envie de faire un show. J'étais en Europe, tandis que Jean-Marc était à Rockland dans le cadre du Festival Théâtre Action. Il m'a dit que nous avions de l'argent du Conseil des arts de l'Ontario, mais qu'il fallait donner un nom à notre compagnie», se rappelle Robert Bellefeuille, cofondateur.

À la suggestion de son collègue Jean-Marc Dalpé, ils baptisent «temporairement» leur compagnie le Théâtre de la Vieille 17, en honneur de la route pancanadienne. Un nom qui cadrait bien avec leur objectif de faire une tournée pancanadienne. Leur identité a collé, tout comme leur première pièce de théâtre, produite aux quatre coins de la province depuis.

«La Vieille 17 a commencé par un show, un petit show. C'est tout. On a commencé avec des gens qui voulaient jouer», évoque Roch Castonguay, qui s'est rajouté au duo initial à leur demande.

Malheureusement, la quatrième complice originale, Dominique Martel, périt dans un accident avant le début de l'aventure sur les planches. Elle est remplacée par Lise Roy. Ensemble, le quatuor se fait un devoir d'honorer la défunte. Le spectacle lui est dédié.

Inspirée d'un poème de Jean-Marc Dalpé, la pièce Les murs de nos villages est entièrement écrite, conçue et créée par ses artisans. Le collectif faisait tout.

«À partir de ce poème-là, on a créé un spectacle qui parlait de nous. Un spectacle qui va raconter les Franco-Ontariens, comme on trouvait au Québec que la dramaturgie racontait les gens», souligne Robert Bellefeuille.

Ils réussissent haut la main.

«C'était la première fois que les gens se voyaient, explique Paul De Broeck, un spectateur de première heure. Ils ont parlé avec tellement d'amour et de tendresse des gens ordinaires. C'est la première fois que le théâtre nous a parlé pour nous dire que nous étions beaux, les Franco-Ontariens.»

Un laboratoire vivant

Cette nouvelle plate-forme artistique a permis d'explorer et d'innover. Dès le départ, l'objectif était d'ailleurs d'accueillir le théâtre de création. D'abord à Rockland, les cinq premières années, puis à Ottawa, pour profiter d'un meilleur appui financier.

«C'est la première fois que le théâtre nous a parlé pour nous dire que nous étions beaux, les Franco-Ontariens.»

Paul De Broeck

«La compagnie a été un terrain privilégié, se réjouit Robert Bellefeuille. Tout était possible à la Vieille 17. Nous avions carte blanche. D'année en année, ce fut un luxe et un privilège d'avoir une structure qui permettait de faire rêver les gens.»

Au fil des ans, le Théâtre de la Vieille 17 crée une cinquantaine de pièces tous des oeuvres originales au sein de ses volets adulte et jeunesse.

D'ailleurs, comme Les murs de nos villages, la création jeunesse Maïta a connu un succès fou: elle est jouée depuis 10 ans. Et, dimanche dernier, elle a été jouée pour une 200e fois, dans la capitale québécoise.

Pour Robert Bellefeuille, qui a assuré la direction artistique de 1983 à 2006, la réalité d'un théâtre à double volet s'avérait primordiale.

«J'avais le goût de raconter des histoires pour les jeunes, Au départ, j'ai créé des spectacles pour mon neveu et ma nièce. Plus tard, ce fut pour ma fille», dit-il avec un brin de nostalgie.

Fierté franco-ontarienne

Le Théâtre de la Vieille 17 devient vite plus qu'une simple aventure personnelle: il devient un emblème franco-ontarien.

«Le mandat premier de la compagnie était de donner la parole aux gens et de célébrer la pluralité des cultures en Ontario. Nous parlions de nous. Les gens s'attachaient à nous, cette culture-là, ce parler-là. C'était l'époque du théâtre-miroir, pour se voir, se comprendre. Ainsi, le théâtre est devenu une tribune qui a permis de décloisonner certaines préoccupations. Nous sommes devenus des ambassadeurs», dit Robert Bellefeuille, impressionné du chemin parcouru.

Paul De Broeck aborde dans le même sens.

«La Vieille 17, ça dépasse de loin le phénomène de théâtre. Cela a donné une fierté à tous les Franco-Ontariens. Il n'y a pas une école en Ontario où on n'a pas joué Les murs de notre village.»

D'ailleurs c'est grâce à l'École secondaire de Casselman que Roch Castonguay a réalisé beaucoup plus tard l'importance de leur coup de tête.

«Je me suis réellement rendu compte de son importance quand j'ai appris que l'école secondaire consacrait un cours de théâtre à la pièce, environ 15 ans après le spectacle initial. C'est rare que l'on s'arrête et que l'on regarde en arrière», dit-il.

L'avenir

De 1979 à 2009, la Vieille 17 a donné la piqûre du théâtre. La saison 2009-2010 en promet autant aux amateurs du théâtre franco-ontarien avec ses sept oeuvres. Pour Esther Beauchemin, directrice artistique, c'est la suite normale des choses.

«Les 30 ans de la Vieille 17 pour moi, ce qui est plus important, c'est de continuer de créer. Ce n'est pas nécessairement de faire un grand événement. C'est plutôt de continuer à créer des liens avec les artistes et la communauté.»

Cet avenir, elle le voit «brillant, percutant et inscrit dans la modernité».

Toutefois, il ne faut pas oublier le passé. «Le théâtre franco-ontarien a une particularité aujourd'hui auquel a contribué la Vieille 17, avance Roch Castonguay. Reste que la Vieille 17, c'est un accident de parcours. Sur une route, c'est normal...»