Les conseillers juridiques d'entreprises en ont assez des honoraires exorbitants de leurs cabinets d'avocats. Et ils ne sont pas gênés pour le dire!

Nadia Martel a beau être elle-même avocate, elle y pense toujours deux fois avant d'appeler son... avocat. Au tarif de 600$ l'heure, et parfois plus, exigé par certains spécialistes du droit, elle estime qu'il vaut mieux avoir quelque chose de vraiment important à demander avant de téléphoner. Alors, lorsqu'elle doit absolument le faire, elle se prépare comme un journaliste avant une interview importante. Ses questions sont courtes et précises, ses demandes sont claires et elle va droit au but sans perdre une seconde. Elle sait qu'elle a tout intérêt à se dépêcher car, à ce prix, les facturent gonflent rapidement.

«J'essaie d'être le plus efficace possible», dit la femme de 41 ans, qui occupe le poste de conseillère juridique principale chez Bombardier Produits récréatifs (BRP), à Valcourt.

Nadia Martel connaît bien les grands cabinets. Elle y a longtemps pratiqué avant de sauter la clôture en entreprise il y a quelques années. Leurs systèmes de tarification horaire, elle sait comment ils fonctionnent. Et elle l'avoue d'emblée, ces méthodes posent de plus en plus problème pour les gestionnaires des départements juridiques aux budgets serrés.

«Pour nous, c'est une préoccupation quotidienne», dit-elle.

L'an dernier, Nadia Martel a donc lancé le chapitre québécois de l'Association of Corporate Counsel (ACC). Cette organisation internationale fondée en 1982 regroupe plus de 25 000 avocats d'entreprises répartis dans plus de 80 pays. Au Québec, ils sont une centaine de conseillers juridiques d'entreprises à s'être joints à l'initiative de Me Martel. Ces temps-ci, ils sont eux aussi en réflexion.

Il y a deux semaines, plusieurs d'entre eux étaient d'ailleurs à Boston, à l'occasion du congrès annuel de l'ACC, où les attendaient plus de 1600 conseillers juridiques des quatre coins du monde. Nadia Martel y était aussi. Dans les corridors, souligne-t-elle, les avocats d'entreprises ne parlaient que de deux sujets, à savoir en quoi et comment les politiques du gouvernement de Barack Obama allaient influencer les entreprises, mais aussi, et surtout, comment eux réussissaient ou non à obtenir des tarifs raisonnables de leurs procureurs externes.

En période de récession, il n'est pas anormal de voir les entreprises renégocier les prix et conditions avec leurs fournisseurs. Mais habituellement, ce sont surtout les fournisseurs de biens qui en paient la note, rarement ceux qui fournissent des services, encore moins les professionnels. La crise actuelle a probablement changé un peu la donne.

Les cabinets au défi!

En tout cas, dans l'industrie juridique, l'ACC mène depuis quelques années une bataille sans merci contre la tarification des grands cabinets, qu'elle considère excessive. Il y a deux ans, l'organisme a même lancé le «Value Challenge», sorte de concours mettant au défi les avocats en pratique privée de développer et de proposer des modes de tarification alternative. On les invite à plus de créativité et à publiciser leurs propositions.

Certains l'on fait, mais, indubitablement, ça prend du temps avant de changer les cultures et mentalités. Un sondage publié par l'ACC durant son congrès indique en effet qu'une majorité d'avocats en entreprises se disent toujours déçus de leurs avocats externes. En outre, plus de la moitié (57%) des juristes interrogés estiment que la qualité du travail de leurs avocats a diminué au cours de la dernière année et qu'ils n'en ont pas obtenu pour leur argent. Pis, sur les deux tiers (69,9%) qui mentionnent avoir fait des suggestions à leurs avocats pour qu'ils améliorent leur qualité de services, près de quatre cas sur 10 soulignent que moins de 10% de leurs avocats les ont écoutés.

Dans les cabinets d'avocats, on se dit très sensibles aux préoccupations des clients. Au Canada, ça discute fort parmi les associés principaux et dans les comités. Quelques-uns sont même sur le point de dévoiler de nouveaux projets. Chez Ogilvy Renault, par exemple, on songe à proposer à certains clients un «menu» dans lequel ils pourraient choisir parmi plusieurs types de tarification: taux fixes, taux moyens, taux de contingence (avec primes aux résultats), frais mensuels fixes, forfaits, fourchettes budgétaires selon les mandats.

«On le fait déjà avec plusieurs clients, mais l'idée est de standardiser ce système dans tous nos bureaux au Canada», dit la chef du marketing, Lise Monette.

Chez Osler, on propose aussi ce genre de tarification, mais on n'a pas encore mis au point de stratégie globale qui pourrait s'appliquer à travers tout le réseau. «Chaque client a des attentes différentes. C'est toujours du cas par cas», explique l'associé-directeur du bureau de Montréal, Shahir Guindi.

Il n'empêche qu'on a beau être créatif, il y a des situations où la tarification alternative fonctionne et d'autres non. Ainsi, en litige, dans le domaine des assurances où l'on a beaucoup de volume, il est possible de négocier à forfait. En revanche, pour piloter une fusion et acquisition, ça devient plus compliqué. «Pour un bureau transactionnel comme le nôtre, c'est très difficile de tarifer à forfait», dit le patron de Davies à Montréal, Pierre-André Themens. Il explique que, dans ce genre de transactions, il y a toujours des imprévus; dans ce contexte, impossible ou presque de proposer un tarif fixe.

Chose certaine, les choses évoluent, même si ça prend du temps. Nadia Martel explique que, chez BRP, on a réussi à négocier certains éléments avec ses cabinets externes (Osler, BCF et Fasken). Par exemple, on a obtenu des termes de paiements plus longs et certains frais sont maintenant exclus de la facturation (les frais de photocopie entre autres, la tarification à la minute). Et il arrive de plus en plus souvent de s'entendre sur un prix fixe pour des mandats particuliers. Récemment, on a ainsi négocié avec un cabinet la rédaction d'un contrat commercial pour la somme forfaitaire de 10 000$. Il y a cinq ans à peine, ce genre d'entente aurait presque été impensable...

renelewandowski@droit-inc.com