Comment peut-on, en deux semaines, dire dans un premier temps à une population sceptique qu'il faut absolument qu'elle aille se faire vacciner contre une terrible grippe car ne pas le faire serait non seulement médicalement dangereux, mais socialement irresponsable et égoïste. Et ensuite, dans un deuxième temps, embarquer ces mêmes personnes dans un système de vaccination pas du tout au point et d'une anticonvivialité déconcertante, pour ne pas dire enrageante.

Dites-moi.

Dites-moi parce que je suis absolument estomaquée par ce qui est en train d'arriver avec cette campagne de vaccination. Oui, on se doutait tous un peu que les choses allaient déraper légèrement, que les doses de vaccin n'arriveraient pas à temps, que la logistique de la piqûre coincerait, etc.

Mais la suffisance des autorités montréalaises de la santé, dans tout ce cafouillage, ou plus précisément l'habileté de ce transfert de leur discours du «quelle ignorance de ne pas vouloir être vacciné» à «arrêtez de vous bousculer», celle-là, je ne l'avais pas vue venir.

Quelque part, je croyais encore qu'on accueillerait les gens à bras ouverts, qu'on ferait tout pour leur faciliter la tâche. «Merci de venir vous faire vacciner, c'est si important.» «Merci d'être solidaire avec vos concitoyens en ne prenant pas le risque de devenir un vecteur du virus.» Merci, merci.

À la place, ce qu'on nous dit, c'est «déplacez-vous, attendez, allez chercher vos coupons, attendez...

Le ministre Yves Bolduc (tout comme les députés Bernard Drainville, du Parti québécois, et Amir Khadir, de Québec solidaire) a voulu montrer l'exemple et s'est fait vacciner devant les caméras pour nous encourager à faire comme lui. Maintenant, peut-il nous faire une petite mise en scène semblable, caméra collée aux talons, et nous montrer, façon téléréalité, comment il est pratique et sans faille d'aller chercher un coupon à 6 h du mat' avec les enfants, en bus? Pour revenir ensuite un peu plus tard au centre de vaccination, toujours en transports en commun, attendre «au maximum une autre heure», le tout en perdant une journée de travail complète, avant même que les effets secondaires du vaccin aient démarré?

Quand on veut qu'une population se fasse vacciner, on s'organise pour que ce soit facile. On organise la vaccination à l'école, au bureau, au Jean Coutu. On ne talonne pas les gens avec toutes sortes de messages pro-vaccin culpabilisants au max pour ensuite les livrer à une usine d'exaspération.

Si vous habitez en région ou même dans les banlieues entourant Montréal, vous trouverez peut-être que j'exagère. Et vous avez peut-être tout à fait raison. Car il est important de le souligner: le coeur du problème de cette campagne de vaccination est dans l'île.

Tout le déploiement de la stratégie anti-H1N1 marche à deux vitesses. On ne livre pas les vaccins à domicile et on ne vient pas vous chercher en limousine à Laval ou à Longueuil, mais le système est plus rapide. Au point où, au début de la campagne de vaccination, la semaine dernière, on a vu des professionnels de la santé aller voir leurs collègues des banlieues avec leurs familles plutôt que d'attendre en ville, dans leurs propres hôpitaux, où on refusait en outre de vacciner leur progéniture.

Si vous avez lu les journaux, cette semaine, vous aurez constaté que, dans certains cas, les Montréalais devront attendre deux, trois, voire quatre semaines de plus que leurs concitoyens des banlieues pour être immunisés. Aberrant.

D'ailleurs, ne trouvez-vous pas qu'on commence à entendre pas mal trop fréquemment dire à quel point, à part si l'on souffre d'une maladie très rare ou très grave demandant une expertise pointue qu'on ne trouve qu'à Montréal, il est en fait bien plus aisé de se faire soigner à l'extérieur?

Après s'être fait servir pendant des années des manchettes sur les lacunes médicales en région, nous voilà apparemment coincés avec un problème inverse. Est-ce à Québec qu'on ne comprend pas les besoins de Montréal? Ou est-ce à Montréal que la gestion globale du réseau de la santé pose problème?

Pour le moment, malgré le grand nombre de cas de grippe, la situation semble gérable dans les hôpitaux. La mort d'une femme de Montérégie hier inquiétera sans nul doute la population, mais il ne faut pas oublier que la grippe saisonnière peut elle aussi être odieuse et tirer dans la foule gratuitement. On regarde actuellement l'impact de la H1N1 avec une loupe géante qui nous enlève toute perspective et ouvre la porte à bien des petites paniques et de grandes inquiétudes.

Cela dit, qu'en sera-t-il dans deux semaines, dans un mois? Où en sera la pandémie?

Nos urgences, comme vous le savez, ne bénéficient pas exactement de marges de manoeuvre spectaculaires. Même chose pour les services de soins intensifs de nos hôpitaux?

Espérons que les responsables de nos soins de santé, à Montréal, sont actuellement en train de penser à des stratégies efficaces pour gérer l'éventuelle sur-surcharge des hôpitaux.

Car dans mes pires cauchemars, je les entends nous dire: «Oui, on déborde, mais ce n'est pas notre faute, vous n'aviez qu'à vous faire vacciner plus tôt!»