Combien de scandales faut-il pour que l'électeur se fâche contre son maire qui ne voit rien? Combien d'enveloppes brunes? Combien de contrats surévalués? Combien d'allégations de collusion et de favoritisme mafieux?

Au quartier général de Gérald Tremblay, hier soir, j'ai posé ces questions à des bénévoles d'Union Montréal. Un des premiers au poste, c'était Naeem Bhatty, sympathique chanteur du quartier Côte-des-Neiges. Il s'est présenté à moi comme le Roch Voisine pakistanais. Béret de biais, l'homme en complet était attablé seul, l'air pensif, dans la salle presque vide du sous-sol du centre de loisirs de Côte-des-Neiges.

Dites-moi, monsieur Roch Voisine du Pakistan, tous ces scandales n'ont pas ébranlé votre foi en Gérald Tremblay? «Non! Il y a toujours eu de la corruption. Des pommes pourries, il y en a partout. On ne peut blâmer le maire», dit celui qui venait de passer la journée à «faire sortir le vote» pour Union Montréal, en courtisant notamment les gens de sa communauté.

Vous ne pensez pas qu'il fallait punir ce maire qui ne semble pas savoir ce qui se passe dans sa ville? «Non. Quand le maire dit que dès qu'il sait, il agit, je le crois.»

Un homme portant une kippa, un téléphone cellulaire greffé à l'oreille, est venu se joindre à la discussion. «Vous savez qu'il est le Roch Voisine pakistanais?» dit-il en pointant mon interlocuteur. Oui, oui, je sais. Et vous, qui êtes-vous? C'était Mike, ex-bénévole pour Union Montréal, qui a déjà milité pour Gérald Tremblay, du temps où il était candidat libéral.

Mike était beaucoup moins candide que son ami chanteur. La campagne lui laisse un goût amer. Quand on l'a appelé pour prêter main-forte à Union Montréal, hier, il a répondu: «Pourquoi devrais-je gaspiller mon dimanche pour ça?» «Je suis allé voter en me pinçant le nez», dit-il en feignant de se boucher les narines. «M. Tremblay est un homme intègre. Mais il ne peut renverser la marée.»

Cette marée qui sent mauvais, plusieurs disent la sentir depuis longtemps. «J'en ai vu des gens donner de l'argent au parti en échange de services, me dit un sympathisant d'Union Montréal.

- Les avez-vous dénoncés?

- Non. Parce que je n'ai pas de preuves.»

Ainsi vogue la grosse machine électorale d'Union Montréal. Peu après 22h30, lorsqu'on a annoncé la victoire de Gérald Tremblay, les sympathisants, prudents jusque-là, se sont levés en criant. Mike et Naeem, qui n'étaient pas d'accord sur la pertinence d'instaurer une commission d'enquête, ont mis de côté leurs désaccords. «Je te l'avais dit!» me lance Naeem, tout sourire. «C'est le temps des sandwichs!» a lancé Mike en se précipitant vers le buffet.

Qu'est-ce que ça prendrait pour que Montréal sorte de sa torpeur et dise: «Assez» ? Parfois, comme on l'a vu avec Pierre Bourque en 1998, il en faut beaucoup. Rappelez-vous. Le maire jardinier, passé maître en improvisation, pataugeait dans les soupçons de fraude électorale. Sa crédibilité était sérieusement entachée. Et pourtant, contre toute attente, il a été réélu haut la main. Et vlan! dans les dents des sondeurs et des éditorialistes qui avaient prédit sa défaite.

La campagne électorale tumultueuse qui se termine par la réélection de Gérald Tremblay en aura été une particulièrement déprimante pour Montréal. D'autant plus déprimante qu'aucun leader ne s'est démarqué.

Quand on doit choisir entre une équipe au pouvoir qui nage dans les scandales, une équipe qui promet de faire le ménage, mais qui est finalement éclaboussée par les mêmes scandales et une troisième aussi bien intentionnée qu'inexpérimentée, dont le chef manque de jugement, le choix n'est pas simple. D'autant moins simple que les votes pour Projet Montréal ont fini par assurer la victoire de celui qu'on voulait battre.

Si les révélations de scandales qui se sont succédé ont eu l'avantage de convaincre un certain nombre d'électeurs de l'importance d'aller voter, elles ont certainement eu aussi l'effet inverse pour plusieurs autres.

Nombre de citoyens découragés, qui se sentent bien impuissants devant ces histoires de corruption, ont choisi de s'abstenir, plutôt que de voter en se pinçant le nez. Plusieurs se sont dit qu'il faut malheureusement plus qu'un nouveau maire pour changer les choses et ramener un peu d'éthique à l'hôtel de ville. Il faudrait presque une révolution. Ou, à tout le moins, une commission d'enquête publique qui permettrait d'espérer changer le système en mettant en lumière ses failles.

Au cours de cette campagne, plutôt que de parler de la ville que l'on veut, on a surtout parlé de celle dont on ne veut plus. On a crevé des abcès. On a eu la démonstration qu'il y avait quelque chose de vraiment pourri dans le royaume municipal. Et on a cherché désespérément un maire inspirant à qui on pourrait confier sans hésiter les clés du royaume déchu.

Hier soir, contrairement au Roch Voisine pakistanais, j'avais le sentiment que Montréal, en votant le nez pincé, ne l'avait toujours pas trouvé.

Pour joindre notre chroniqueuse: rima.elkouri@lapresse.ca