Devant la dureté du monde contemporain, la seule issue est de créer des rencontres. Tel est le message du réalisateur et scénariste Bernard Émond. Voix singulière dans le cinéma québécois, il conclut avec La donation la trilogie sur les vertus théologales entamée avec La neuvaine et Contre toute espérance. Québec, qu'as-tu fait de tes valeurs?

Après la foi et l'espérance, la charité. Dans La donation, Bernard Émond retrouve le médecin en proie au désespoir de La neuvaine, Jeanne Dion (Élise Guilbault). L'urgentiste montréalaise quitte Westmount pour l'Abitibi, où elle remplace pendant un mois un médecin de campagne, le docteur Rainville.

«La solution que trouve Jeanne à son mal de vivre est le don de soi», dit Bernard Émond, rencontré la semaine dernière. Plus optimiste dans sa résolution que le très sombre Contre toute espérance, La donation n'épargnera toutefois pas à Jeanne des coups du destin.

«Vous savez, on meurt tous à la fin de l'histoire, soutient Bernard Émond, la finitude fait partie de la condition humaine. On peut beaucoup, mais on ne peut pas tout. Dans La donation, il y a une acceptation de cela.»

Auteur de films plus silencieux que bavards, Bernard Émond se montre très disert en entrevue. Passionné par le cinéma, Bernard Émond l'est sans aucun doute. Mais le sujet qui le passionne peut-être au moins autant, c'est le Québec, un sujet que cet anthropologue de formation ne se lasse pas de contempler dans ses évolutions.

«Toute l'idée de la trilogie vient du sentiment de perte que j'éprouve face à la disparition du complexe (culturel) québécois», dit-il. Si La neuvaine était un film inspiré par Sainte-Anne de Beaupré; Contre toute espérance était un film consacré à la banlieue. La donation doit, quant à lui, son existence à l'Abitibi.

Nostalgie

En 2005, Bernard Émond accompagne La neuvaine au Festival de cinéma de Rouyn-Noranda. «Une nostalgie profonde s'empare de moi devant le paysage», dit Bernard Émond. «C'est métaphoriquement très fort: cet Abitibi est emblématique de la fin d'une histoire québécoise.»

C'est dans l'ancienne ville minière de Normétal qu'atterrit le docteur Dion, et avec elle, le plateau de tournage de La donation. L'ex-documentariste retrouve la ville où Gilles Groulx avait tourné en 1959 (La ville ne dort pas), mais vidée d'une partie d'elle-même, «comme si quelqu'un flottait dans des vêtements trop grands», selon Émond.

À Normétal, pendant près de deux mois, Bernard Émond tourne dans des «lieux réels», ce qui fait de La donation l'un de ses longs métrages de fiction les plus marqués par le documentaire.

«C'est surtout parce que l'on a pu tourner dans de vrais lieux, dans un hôpital encore en fonction, dans une vraie boulangerie, dans un vrai bureau de médecin», croit-il.

La donation parle donc d'un Québec trop individualiste, d'un monde où les individus sont condamnés à la solitude.

«C'est vrai que c'est un film de rencontres. Le thème du film est vraiment la quête de sens, la rencontre, la transmission. Devant la dureté du monde contemporain, la seule issue est de créer des rencontres», explique Bernard Émond.

Mais c'est aussi de lui-même que parle son dernier film, mettant en parole le reproche souvent adressé à ses films comme à l'Abitibi: l'apparente hostilité.

«C'est beau», dit Jeanne, contemplant le paysage, corrigée par le docteur Rainville: «C'est austère. Y'a beaucoup de gens qui n'aiment pas ça.»

Bernard Émond s'amuse à cette évocation qu'il dit inconsciente. On lui fait remarquer aussi que dans le monde d'Émond, les boulangers sont mélomanes, les intérieurs sont dépourvus de téléviseurs et les patients à l'hôpital lisent tranquillement saint Augustin.

«On ne me refera pas, sourit le cinéaste. Toutes les fois où j'ai voulu mettre des télés, cela a été, sur le plateau, des complications sans fin pour montrer des niaiseries. Pour ce que ça donne! Quant à saint Augustin, c'est un simple hasard.»

Bernard Émond persiste et signe avec sa trilogie. «Ce sont des films qui respectent leur public. On ne fera pas 2 millions au box-office: So what? Ce que j'attends d'une oeuvre d'art, c'est que je puisse chercher quelque chose d'important, un questionnement moral et une expérience esthétique.» Et de revendiquer: «Je ne veux pas plaire. Si je voulais plaire, je ferais autre chose.»

Filmographie de Bernard Émond

Les deux premiers volets de sa trilogie théologale

> La neuvaine (2005)

Jeanne (Élise Guilbault) est le témoin du meurtre d'une femme et de son enfant. Bouleversée par sa propre impuissance, elle quitte Montréal et roule, la nuit, jusqu'à Sainte-Anne de Beaupré où elle rencontre François (Patrick Drolet), qui essaie de sauver sa grand-mère par la prière. Le film a remporté plusieurs prix, dont le Jutra de la meilleure actrice. Patrick Drolet a remporté le Léopard de bronze à Locarno.

> Contre toute espérance (2007)

Un couple (Guylaine Tremblay et Guy Jodoin) emménage dans une nouvelle maison. Les promesses de bonheur se muent vite en grands malheurs : maladie, handicap, chômage. Le désespoir mène le couple dans une voie sans issue. Présenté à Locarno, le film n'a pas remporté de prix, mais a valu à Guylaine Tremblay le Jutra de la meilleure actrice.

Autres fictions:

> La femme qui boit (2002)

> 20h17, rue Darling (2003)

Documentaires:

> Ceux qui ont le pas léger meurent sans laisser de traces (1992)

> L'instant et la patience (1994)

> La terre des autres (1995)

> Le temps et le lieu (2000)

À noter: les éditions Médiaspaul viennent de faire paraître un livre d'entretiens entre Simon Galiero et Bernard Émond. Le cinéaste y revient, entre autres, sur ses années de formation, sa trilogie théologale et son rapport à la culture et à la transmission.