Loin de l'image sensuelle des Lestat et consorts mis en scène par Anne Rice ou du Dracula de Bram Stoker, les vampires de Guillermo del Toro et Chuck Hogan se multiplient comme le plus dangereux des virus, menaçant de faire basculer New York dans l'horreur. Nul vaccin ne pourrait enrayer cette pandémie vampirique, pas plus que les traditionnels chapelets de gousses d'ail ou les gallons d'eau bénite.

Seul un vieil homme, Abraham Setrakian, sait ce que l'arrivée du Maître en Amérique du Nord signifie - une guerre à finir entre les sept Aînés des vampires - et semble en mesure de lutter à armes (presque) égales avec lui. Encore lui faudra-t-il convaincre un duo de médecins que la science ne peut rien contre le virus auquel ils sont aujourd'hui confrontés.

Premier tome d'une trilogie signée à quatre mains par le cinéaste espagnol - à qui l'on doit entre autres Le Labyrinthe de Pan - et l'auteur américain, La Lignée s'ouvre sur un avion avec lequel on perd tout contact immédiatement après son atterrissage à LaGuardia. Isolé en bout de piste, plongé dans le noir le plus total, l'appareil est devenu l'improbable cercueil de centaines de passagers.

Dépêchés sur les lieux, deux membres officiels du Center for Disease Control, Ephraïm Goodweather et Nora Martinez, n'arrivent pas à croire ce qu'ils y voient. Leurs convictions les plus profondes de scientifiques seront mises à plus rude épreuve encore lorsqu'ils comprendront que tous ces voyageurs, dont ils ont pourtant confirmé la mort, ont réussi à fuir les morgues pour mieux envahir les rues de la ville. Débutent alors non seulement une enquête pour comprendre ce qui est en train de se passer, mais aussi - et surtout - la traque pour retrouver et tuer cette sombre créature qui sème la mort autour d'elle.

De son côté, Abraham Setrakian, rescapé d'un camp nazi devenu prêteur sur gages, attend ce moment depuis des décennies. Car sa route a déjà croisé celle du Maître, à Treblinka. Depuis, il n'a eu de cesse de se préparer à la confrontation, amassant dans son petit magasin de Spanish Harlem, les divers instruments qui l'aideront à vaincre le vampire.

Autour de ce trio de choc évoluent le sympathique et dégourdi spécialiste de la dératisation Fet, et le jeune Gus, au passé de délinquant. Tirant d'importantes ficelles dans l'ombre, l'intrigant et richissime homme d'affaires Eldritch Palmer se cache, alors qu'il est l'unique responsable de la propagation du virus vampirique, puisque c'est lui qui a pu faire traverser l'Atlantique au Maître. Quant aux trois Aînés nord-américains, que la présence de ce dernier menace, ils s'apprêtent à passer à l'action.

Sur le plan strict du thriller, le roman donne juste assez froid dans le dos pour s'avérer une lecture agréablement terrifiante. En plus de miser sur la peur des gens de succomber à un virus potentiellement mortel, Del Toro et Hogan empruntent de façon crédible aux mythes - Setrakian fait par exemple allusion au Dracula de Stoker - entourant la nature des vampires et les moyens d'en venir à bout, ainsi qu'aux nombreuses légendes du Vieux Continent sur l'émergence de ces créatures pour tisser leur premier roman. Au final, leurs créatures ressemblent plus à celles qui s'emparent des corps des humains dans Alien, avec leur aiguillon avide de sang, qu'aux séducteurs Louis et Lestat d'Entretien avec un vampire.

À cette trame principale, ils mêlent l'histoire personnelle de Setrakian, intimement liée à celle du Maître, ainsi que celle d'Ephraïm qui lutte pour la garde de son fils Zack. Une lutte qui prendra sûrement toute sa dimension dans le prochain tome, puisque le Maître entend bien faire du garçon une proie pour sa propre mère, dont il vient de s'emparer...

Très cinématographique, l'écriture de La Lignée est rythmée par de nombreux changements de décors et de plans. Si bien que le lecteur «voit» l'action, les découpages et les effets. Et pour peu qu'on ait récemment visité New York, on peut suivre les déplacements des personnages avec une vue d'ensemble des lieux qui apporte une autre touche visuelle à l'ensemble, loin d'être désagréable.

La Lignée, Guillermo del Toro et Chuck Hogan, Presses de la Cité, 446 pages***

Vlessard@ledroit.com