Le Service de police de la Ville de Montréal aurait bafoué certaines de ses règles internes liées au transfert d'enquête à un autre corps de police à la suite de la mort de Fredy Villanueva.

Selon ces règles, l'agent Jean-Loup Lapointe aurait dû être «isolé tout en s'assurant qu'il est accompagné d'un superviseur de quartier» après avoir tiré sur le jeune Villanueva le 9 août 2008. De plus, le policier était tenu de «collaborer à l'enquête».

Le document interne du SPVM intitulé «Mode de fonctionnement. Intervention particulière» détaillant les règles à appliquer en cas de politique ministérielle a été déposé en preuve, hier, à l'enquête publique du coroner André Perreault au palais de justice de Montréal.

La Sûreté du Québec a aussi été écorchée, hier, en cette troisième journée d'audience. Au moment de mener son enquête criminelle sur les agents Jean-Loup Lapointe et Stéphanie Pilotte du SPVM, le sergent-détective Bruno Duchesne de la SQ ignorait tout de ces règles qu'il aurait pu invoquer pour forcer l'agent Lapointe à «collaborer».

Habilement questionné par le coroner André Perreault, l'enquêteur Duchesne a admis avoir pris connaissance de ces règles plusieurs mois après la fin de son enquête, soit en janvier dernier. Selon les règles du SPVM, le policier impliqué dans une intervention durant laquelle une personne perd la vie doit «collaborer» et «demeurer disponible aux fins de l'enquête». Le policier de la SQ n'a pas cherché à savoir, non plus, l'identité du «superviseur de quartier» qui aurait dû «isoler» l'agent Lapointe ce soir-là.

Plus tôt cette semaine, l'agent Duchesne a révélé que les agents Lapointe et Pilotte n'avaient pas été isolés, contrairement aux jeunes témoins du drame. Les deux agents sont plutôt allés au poste de quartier ensemble puis ont partagé la même ambulance, accompagnés d'un représentant syndical. Hier, l'enquêteur est revenu sur sa déclaration en disant qu'on pouvait interpréter «isoler» dans le sens de «sortir des lieux». À ses yeux, la directive aurait ainsi été respectée. Et que de toute manière, «ça a été fait avant que la SQ entre en fonction», alors il n'aurait rien pu faire.

Les avocats du clan Villanueva ne sont pas du tout de cet avis. En marge de l'enquête, Me Alain Arsenault s'est indigné de cette situation de «deux poids, deux mesures». «Il devait être isolé de tous. La directive interne de la police de Montréal n'a pas été suivie par le policier responsable à ce moment-là. Il n'y a aucune ambiguïté. On peut faire de la sémantique, mais ça ne résiste pas à l'analyse», a dit l'avocat du jeune Jeffrey Sagor Metellus aux journalistes présents.

D'autres révélations ont fait mal paraître le SPVM, hier. L'enquêteur Duchesne s'est fait refuser l'accès aux «antécédents déontologiques» de l'agent Lapointe à moins de justifier par écrit les raisons de sa requête. Or, la SQ considérait qu'elle n'avait pas à justifier quoi que ce soit. Ainsi, le SPVM ne les a jamais transmis. De plus, la SQ a demandé au SPVM de lui transmettre les notes de leur premier briefing le soir où l'enquête a été transférée. C'est dans ce briefing que le SPVM a indiqué à la SQ une thèse de départ erronée selon laquelle les agents avaient été «encerclés, jetés au sol et étranglés». Le SPVM a répondu à la SQ que de telles notes n'existaient pas.

Des photos des blessures des deux agents ont d'ailleurs été dévoilées, hier. Aucun n'a de blessure au cou. L'agent Lapointe a une égratignure à un coude et sa coéquipière, deux égratignures aux genoux et quelques rougeurs aux avant-bras.

Des questions jamais posées

Le coroner Perreault a aussi voulu savoir pourquoi l'enquêteur Duchesne n'avait pas interrogé l'agente Pilotte après qu'elle lui eut remis son rapport si elle n'était pas considérée comme suspecte. «Oui, j'ai eu des questionnements supplémentaires dans ma tête, mais on n'avait toujours pas le rapport de M. Lapointe», a répondu le policier. L'enquêteur Duchesne estimait que l'agente Pilotte aurait pu dévoiler à son coéquipier «l'orientation de l'enquête» si elle était interrogée.

La SQ n'a posé qu'une seule question de vive voix à l'agent Lapointe durant son enquête, a relevé le coroner Perreault. Deux collègues de M. Duchesne sont allés le rencontrer au bureau de son avocat Me Pierre Dupras le 15 août 2008. «As-tu fourni un rapport à ton supérieur immédiat?» lui ont-ils demandé. Pourtant, la SQ savait qu'il ne l'avait pas encore remis, a fait valoir le coroner. Cette rencontre a été courte puisque l'agent Lapointe a invoqué son droit au silence.

Une émeute prévisible?

Quelques heures après la mort de Fredy Villanueva, dans la nuit du 9 au 10 août, la commandant Roxanne Pitre du Service de police de la Ville de Montréal avait prévu de fortes réactions des «communautés latinos et haïtiennes». Or, une manifestation a effectivement dégénéré en émeute dans les rues de Montréal-Nord le 10 août 2008. À 2h21, la policière Pitre a envoyé une note à la direction du SPVM pour signaler la «tendance médiatique» à prévoir. «Les communautés latinos et haïtiennes vont sûrement réagir à la mort du jeune latino et critiquer l'intervention policière. Un bilan de réponse est déjà préparé pour l'inspecteur Patrick Lalonde. Toutes les personnes concernées ont reçu une copie du bilan fourni dans la nuit du 10», écrit la commandant Pitre. Rappelons que la CSST a sévèrement blâmé le SPVM en mars dernier au sujet de l'émeute pour sa «mauvaise planification» de l'opération policière, la «confusion dans les ordres» et parce que le SPVM n'a pas appliqué les procédures requises au bon moment.