De la violence, Evguénia Arostamian ne pensait pas en avoir dans son ADN. Née en 1955 à Stepanakert, une ville majoritairement arménienne de la province du Haut-Karabakh, campée au milieu de l'Azerbaïdjan, elle a été élevée dans l'Union soviétique de l'après-guerre. Elle a fait des études à Erevan puis pris un boulot qui lui permettait d'élever ses trois fils. Dans son entourage, on la surnomme «Koukla» ou poupée, en russe, «parce que j'étais jolie», dit-elle en souriant tristement.

Mais en 1988, la guerre a éclaté au Haut-Karabakh entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan et la vie de la famille Arostamian a basculé. Deux de ses fils et son mari ont rejoint les forces arméniennes qui affrontaient les forces azerbaïdjanaises. Son mari y a laissé sa peau. Ses deux fils ont été blessés. «J'ai décidé que je devais me venger des Azerbaïdjanais. J'ai laissé mon plus jeune fils à la maison et je me suis enrôlée dans les milices armées. Je n'avais pas peur. Je ne sais pas ce que j'étais vraiment: tireuse d'élite, infirmière, soldate. Ce que je sais, c'est que je portais un uniforme et que je me battais comme les autres. Quand j'y repense, je me demande comment j'ai fait», raconte-t-elle, des années plus tard, en compagnie de son amie Karina Danilan qui, comme Evguénia Arostamian et des dizaines d'autres femmes de la région, s'est improvisée guerrière. Les deux combattantes ne sont pas revenues indemnes de leur épopée. Toutes deux, elles ont été grièvement blessées et demeurent invalides 16 ans après la fin de la guerre. Elles habitent aujourd'hui un immeuble toujours criblé de balles, déserté par leurs anciens locataires azerbaïdjanais.

 

Leur camp a gagné la guerre et aujourd'hui, le Haut-Karabakh est de facto un territoire arménien, mais aux yeux du monde, ce petit bout de pays montagneux, ne trouve toujours pas de reconnaissance. «Mais je suis néanmoins contente d'avoir agi comme je l'ai fait. Je n'ai aucun regret.»