Une disposition du Code du travail du Québec qui a pour effet d'empêcher les travailleurs agricoles de se syndiquer vient d'être déclarée inconstitutionnelle par la Commission des relations du travail (CRT). Cette décision aura un impact majeur : elle ouvre la porte à la syndicalisation de milliers d'ouvriers agricoles étrangers, surtout mexicains et guatémaltèques, qui travaillent dans les fermes de la province.

«L'exclusion de ces travailleurs agricoles saisonniers du régime général de représentation syndicale que constitue le Code les empêche de jouir de la liberté d'association garantie par les Chartes canadienne et québécoise (des droits de la personne)», écrit Robert Côté, vice-président de la CRT, dans une décision de 85 pages rendue vendredi.

«Cette exclusion les prive d'accéder à un véritable régime de négociation collective de leurs conditions de travail. (Cet) article du Code constitue donc une atteinte aux droits constitutionnels des salariés.»

M. Côté a décidé de ne pas tenir compte de cet article et d'accréditer le syndicat des Travailleurs unis de l'alimentation et du commerce (TUAC) pour représenter les six ouvriers agricoles à l'emploi de la ferme Johanne L'Écuyer & Pierre Locas, à Mirabel. Dans une décision antérieure, la CRT avait évoqué ce même article du Code pour rejeter une demande d'accréditation syndicale dans d'autres fermes.

La disposition déclarée inconstitutionnelle date de presque 50 ans. Elle stipule que «les personnes employées à l'exploitation d'une ferme ne sont pas réputées être des salariés... à moins qu'elles n'y soient ordinairement et continuellement employées au nombre minimal de trois». Mais comme le notaient avec ironie les TUAC, au Québec, l'hiver, il neige.

Comme toutes les exploitations agricoles, la ferme L'Écuyer & Locas n'emploie pas au moins trois personnes en permanence : ses six salariés mexicains travaillent de la mi-mars à la fin octobre. Les propriétaires s'appuyaient sur la vieille disposition du Code du travail pour demander le rejet de la demande en accréditation.

«Le droit dont sont privés les travailleurs agricoles exclus concerne directement leur liberté d'association, tranche M. Côté. Cette liberté ne se limite pas à un droit théorique de s'associer avec d'autres personnes ou d'adhérer à une association déjà formée. Le droit revendiqué est celui de s'associer pour exercer une influence véritable sur leurs conditions de travail et jouir des avantages d'un processus de négociation véritable.»

Le respect du droit d'association s'avère fondamental pour les ouvriers agricoles migrants qui, ajoute M. Côté, «sont particulièrement vulnérables et défavorisés en ce qu'ils n'ont aucun statut légal en tant que citoyens, ni même en tant que résidents permanents au Canada».

«De plus, l'obligation de vivre sur les lieux de travail entraîne une limitation évidente de la vie privée. À titre d'exemple, l'employeur pourra ou non permettre des visites de personnes de l'extérieur... La possibilité d'être renvoyés dans leur pays sans possibilité d'appel, de même que l'absence de garantie de retour l'année suivante, est un autre élément qui est de nature à contribuer à l'insécurité.»

On compte plus de 6000 travailleurs agricoles étrangers dans les fermes du Québec. Ils sont payés au salaire minimum, même lorsqu'ils font des heures supplémentaires. Ils paient des cotisations d'assurance emploi, mais ne peuvent pas en bénéficier. Leur travail est dur et exténuant. En 2008, une enquête de La Presse avait révélé que des ouvriers se plaignaient d'avoir été battus par des fermiers ; certains tombaient malades à cause des pesticides ; d'autres s'entassaient dans des logements exigus, se voyaient confisquer leur carte d'assurance-maladie, étaient renvoyés s'ils tombaient malades, ou ne réussissaient pas à toucher d'indemnités en cas d'accident.