«Si personne ne parle, les choses ne changeront jamais à Kahnawake.»

Alvin Delisle, lui, a décidé de parler.

Le 2 février, vers 15h, la lettre est arrivée chez lui. Pauline est blanche, Pauline doit partir.

Alvin Delisle ne l'entend pas ainsi.

 

«Ce n'est pas le conseil de bande qui va décider avec qui je couche, lance-t-il. Et qu'est-ce qu'ils vont faire, au juste? Mettre en place une police sexuelle qui va aller voir de maison en maison qui se trouve dans le lit de qui?»

Depuis le début de la controverse au sujet des 26 avis d'expulsion qu'ont reçus des Blancs qui vivent en couple avec un Mohawk de Kahnawake, M. Delisle est le premier à parler à visage découvert. Il l'a d'abord fait pour le journal local Eastern Door, puis pour nous.

Lieu de rendez-vous: l'hôpital. «Je suis en attente d'une opération au coeur. Elle a été reportée. C'est pour mardi, finalement.»

Alors, ce n'est pas le bon moment... «Au contraire, le moment est parfait, c'est plate à mourir, à l'hôpital! Venez, on va jaser.»

À Kahnawake, tout le monde est un peu blanc. Un peu, beaucoup ou pas mal, dit-il. «Je le suis. Les membres du conseil de bande le sont aussi. Personne ne peut prétendre être mohawk à 100%.»

Alors qu'est-ce que cette idée de vouloir protéger la pureté de la race mohawk? demande-t-il. De toute façon, il est trop tard.

Mariages mixtes

«Quand j'étais jeune, il y avait beaucoup d'ouvrage à Lachine, de l'autre côté du fleuve. Les gens qui travaillaient à la Dominion Bridge ou à Canada Cars étaient nombreux à habiter chez nous. Il y avait plein de Québécois francophones, à Kahnawake. C'est comme ça qu'il y a eu plein de mariages mixtes.»

Dans son histoire, à intervalles répétés, le conseil de bande a cherché à éliminer les Blancs de son territoire. M. Delisle est bien placé pour le savoir: en 1988, il était de ceux qui distribuaient des avis d'expulsion aux portes.

«Je n'avais pas réfléchi. Mais un an ou deux plus tard, je me suis rendu compte que ça n'avait pas d'allure. On accuse les Blancs d'être racistes à notre égard, mais ces lettres d'expulsion, si elles ne sont pas racistes, je me demande bien ce que c'est.»

Le coeur avant tout

Ce qu'on a dans le sang est bien futile par rapport à ce qu'il y a dans le coeur, M. Delisle le sait plus que jamais. Il y a 10 ans, il a rencontré Pauline Labelle. Une Blanche, avec laquelle il vit depuis. «J'étais divorcé, elle était libre elle aussi, on a bu un verre à la Légion et on s'est plu.»

Les problèmes ont commencé en 2004. Cette année-là, M. Delisle s'est fait dire qu'il n'avait plus le droit de voter. Interdiction lui était faite, aussi, d'être enterré à Kahnawake, lui qui y avait passé toute sa vie. De plus, on ne déblaierait plus la neige devant chez lui, alors que, normalement, on le fait pour toute personne handicapée ou âgée.

La moindre des choses serait qu'il y ait un référendum sur la question des expulsions, dit M. Delisle. «Un référendum clair, avec une question claire, dont le camp gagnant serait déterminé par la règle des 50% plus un.»

Parce que là, c'est n'importe quoi, dit-il. Ces expulsions ne reposent sur rien, ce n'est pas du tout dans le mandat des peacekeepers de les mettre en application. Et pourquoi seulement 26, d'ailleurs? «Des Blancs, à Kahnawake, j'estime qu'il y en a environ 300, dont pas mal de bébés. On va se mettre à courir après des bébés, maintenant?»

«Nous ne parlons pas au conseil de bande. Nous ne tentons pas d'obtenir un règlement particulier. Nous n'avons rien à négocier, tranche Pauline Labelle. Ma seule préoccupation, à l'heure actuelle, c'est que l'opération d'Alvin se déroule bien et qu'il soit vite sur pied.»

«Quand j'irai mieux, je vais peut-être intenter une poursuite ou participer à un recours collectif, poursuit M. Delisle. Kahnawake, c'est une réserve mohawk établie sur des terres de la Couronne. Des terres canadiennes, quoi. Et en tant que Canadien, j'ai des droits.»

Dès qu'il s'agit des Indiens, «les gouvernements ont peur de se tenir debout. Ils ne se sont pas tenus debout avant la crise d'Oka, en 1990, et là, ils ne se tiennent pas plus debout. Nous sommes pourtant des citoyens canadiens, nous aussi».

Le conseil de bande n'était pas disponible pour des entrevues hier.