Les deux policiers impliqués dans la fusillade qui s'est soldée par la mort de Fredy Villanueva ont eu une perception bien différente du danger, le soir du 9 août 2008, a révélé l'enquête du coroner André Perreault cette semaine. L'agent qui a tiré a eu peur de mourir. Sa partenaire, elle, n'a jamais craint pour sa vie ni même pensé sortir son arme. La vie de Fredy Villanueva a basculé en moins d'une minute, soit la durée totale de l'intervention policière, a-t-on aussi appris. Retour sur les circonstances et les leçons d'une mort «prévisible» avec Harry Delva, patrouilleur de rue de la première heure, qui vient de réaliser un documentaire sur le profilage racial.

Q Patrouilleur de rue dans le quartier Saint-Michel depuis 18 ans, vous dites avoir lancé de nombreux signaux d'alarme sur la détérioration des relations entre la police et les jeunes des minorités visibles. Vos signaux n'ont pas été entendus, selon vous, puisqu'une émeute a éclaté après la mort de Fredy Villanueva. Pourquoi dites-vous aujourd'hui que vous n'avez «plus la force d'aller plus loin»?

 

R Tout le monde s'y attendait. Tout le monde le disait. Quand je dis tout le monde, je parle de ceux qui travaillaient sur le terrain avec le service de police. On sentait que la pression était très forte. Je recevais souvent des plaintes de citoyens qui venaient me voir parce que je suis intervenant communautaire. Puis de jeunes chanteurs hip hop ont sorti le StreetDVD, sur lequel ils ont compilé leurs chansons. La réaction des policiers a été d'interpeller dans les rues les artistes qui étaient sur ce DVD. À la même période, le groupe Éclipse a été déployé. Un policier a reçu une balle de plomb dans Montréal-Nord. Je disais: «Attention, il est minuit moins cinq pour que des émeutes se produisent ici comme dans les banlieues françaises.»

Le lendemain de la mort de Fredy Villanueva, un jeune a dit au seul journaliste qui était en direct dans la journée: «Dix-huit ans, c'est trop jeune pour mourir.» C'est après cela que des gens se sont mis à sortir dans les rues et qu'une marche pacifique a été enclenchée, puis il y a eu l'émeute. Mais, dans la journée, personne n'était là pour rassurer et écouter les jeunes. C'est là que je me suis dit que tous nos efforts n'avaient servi à rien.

Q La création par Québec de l'escouade Éclipse, destinée à lutter contre les gangs de rue, a suscité son lot de critiques. Est-ce l'une des raisons pour lesquelles vous vous êtes retiré du comité expert sur le profilage racial et illicite de la police de Montréal (SPVM)?

R Je siégeais à plusieurs comités où la police était présente, dont celui-là. J'y rapportais les plaintes et les impressions des jeunes; j'étais écouté, mais sur le terrain: il n'y avait jamais rien qui bougeait.

L'escouade Éclipse est un excellent exemple. À sa création, on a pris des jeunes qui sortaient de l'école, qui ne connaissaient pas le terrain ni les criminels qu'ils recherchaient. Au lieu de faire du profilage criminel, ils faisaient du profilage racial. Ils sont venus défaire le travail qui avait été fait auparavant. Dans Saint-Michel, par exemple, l'équipe du commandant Fady Dagher, formée entre autres de Charles Dubois et d'Evens Guercy, fait quelque chose de positif, mais ces policiers d'Éclipse qui ne connaissent pas le terrain viennent détruire leur travail.

Q Mais il faut bien des policiers pour lutter contre les gangs de rue, non?

R Au SPVM, il y a une équipe d'élite qui s'appelle l'antigang. Quand elle travaille, les jeunes qui ne sont pas dans les gangs n'ont pas de problème. Les gens ciblés étaient des criminels fichés. Pensons à ceux qui ont arrêté le gang de la rue Pelletier. Un des experts en gangs de rue au Canada - il s'appelle Jean-Claude Gauthier - travaille au SPVM. Il connaît les membres des gangs majeurs et des gangs émergents.

Q Croyez-vous que l'enquête du coroner André Perreault pourra amener les organisations policières à remettre en question leurs pratiques pour que la mort de Fredy Villanueva ne soit pas complètement inutile, comme le dit le criminologue Maurice Shalom dans votre documentaire diffusé récemment à Canal D?

R J'espère que, cette fois-ci, on va prendre les choses au sérieux. Des commissions et des rapports, il y en a déjà eu depuis la mort d'Anthony Griffin en 1987. Pourquoi, 20 ans plus tard, retrouve-t-on les mêmes injustices? J'ai hâte de voir, à la suite des recommandations du coroner, ce qui va se passer. Pourra-t-on vraiment s'asseoir et travailler ensemble une fois pour toutes: les responsables des institutions et les gens de terrain?

Q Aux plus récentes élections municipales, vous avez échoué à votre première tentative de vous faire élire comme conseiller de Vision Montréal dans Saint-Michel. Où poursuivrez-vous votre combat contre le profilage racial?

R Je reprendrai les rênes de la patrouille de rue dans Saint-Michel pour un certain temps, quoique la relève est bien implantée. Je compte aussi me représenter en politique. Mais je ne veux plus travailler avec la police. Quand je regarde les projets mis de l'avant dernièrement par la police de Montréal, je me dis que c'est le jour de la marmotte. Au début des années 90, j'étais de la première cohorte d'agents de liaison de la communauté noire chargés de rebâtir les ponts entre les jeunes et la police. Après l'émeute de Montréal-Nord, la police a décidé de remettre sur pied ce projet avec de nouveaux intervenants. C'est décourageant. Pourquoi ce projet a-t-il été arrêté peu de temps après avoir débuté et pourquoi le ressort-on 20 ans plus tard? Je préfère me distancer des institutions pour devenir plus indépendant.