Des petites vieilles appuyées sur une marchette cheminent vers la salle à manger de la résidence La Champenoise, dans une rue tranquille de la capitale. Vêtu d'un costume gris et d'une cravate pourpre, le maire Régis Labeaume les attrape une à une.

«Collez-vous un peu», lance-t-il à l'une des dames en la serrant contre lui. Puis il pose pour la photo. La femme, bien «collée» contre son épaule, paraît ravie.

«Vous êtes comme nous, vous êtes de notre gang!» lance une autre admiratrice en route pour le lunch. Le maire Labeaume rayonne, tel Michel Louvain chez les dames en bleu...

Changement de décor: nous sommes dans un pavillon de l'Université Laval où des étudiants rivés à leur ordinateur planchent sur leurs travaux.

Régis Labeaume lit par-dessus leurs épaules, enchaîne des blagues pas toujours très drôles. «Je trouve que vous faites du bon travail», lui lance quelqu'un. «Merci, tu viendras chercher ton 20 piastres ce soir», rigole le maire.

En déambulant dans la salle commune, Régis Labeaume tire sur le capuchon d'un étudiant, pêche un morceau de fudge dans un plat de plastique, empoigne des jeunes par le bras ou leur flatte le dos. Aucun vernis, aucun respect pour la «bulle» physique de chacun.

Et ça marche: les étudiants lui coulent des regards remplis d'adoration. À un moment, des voix s'élèvent d'une mezzanine: «On veut les Nordiques! On veut les Nordiques!» Un jeune homme s'arrête pour demander un autographe.

Régis Labeaume pose des questions. Il est attentif, concentré. Et il cueille les hommages avec le naturel d'une star.

Il y a de l'action

Mais à quoi tient donc le magnétisme que ce quinquagénaire trapu irradie autour de lui? «Grâce à lui, c'est vivant à Québec, il y a de l'action, nous on est jeunes, on aime ça», résume une étudiante.

Ce charme opère partout, dans l'univers des arénas et celui de la culture, chez les dramaturges et les gens d'affaires, auprès de l'élite et du public de la «radio poubelle», dit le rédacteur en chef de Voir Québec, David Desjardins.

Tout ce beau monde ne ferme pas les yeux sur les impairs de Régis Labeaume, qui lui collent toujours à la peau même s'il jure avoir pris «de la maturité».

Parmi ses perles, il y a cette fois où il a dit de la ministre Josée Verner qu'il aurait «envie de la battre». Ou celle où il a lancé à un conseiller de l'opposition: «Mon ostie, m'a t'en câlisser une dans le front.»

Un autre jour, il a traité les employés de la Ville de «fourreurs de système». Les syndicats ont répliqué avec une plainte pour harcèlement. Tout récemment, le maire a remis de l'huile sur le feu, en disant qu'il fallait gérer la Ville «dans la crainte».

«Il dépasse les bornes, maintenant les employés se font baver par des citoyens», proteste Jean Gagnon, président du syndicat des cols blancs de Québec.

Mais ses débordements verbaux n'écorchent en rien la popularité de Régis Labeaume. «C'est épouvantable, les conneries qu'il peut dire. Il énerve tout le monde, mais tout le monde l'aime», résume David Desjardins.

Le sauveur des fêtes

Peut-être est-ce parce que Régis Labeaume ne fait pas que parler. Il agit. Et selon Denis Desjardins, «tout ce qu'il touche, ça marche».

Même ses détracteurs reconnaissent que c'est lui qui a sauvé les fêtes du 400e anniversaire de Québec, dont l'organisation allait à vau-l'eau.

Les critiques reprochent à Régis Labeaume de trop capitaliser sur ce succès, et de ne pas avoir beaucoup d'autres réalisations à mettre à son actif. Oui, le Moulin à images, oui, le Cirque du Soleil. Mais après?

Après la mort en 2007 de celle qui l'a précédé, Andrée Boucher, Régis Labeaume s'était lancé dans la course à la mairie avec un taux de popularité de 3%. Et il s'est retrouvé minoritaire devant un conseil allergique à son style de gestion.

Il a quand même réussi à réduire la taille du conseil municipal, faisant passer le nombre de conseillers de 37 à 27! Il faut dire qu'il n'a pas soumis ce régime minceur au conseil municipal: il a cogné à la porte du gouvernement pour faire modifier la Charte de la capitale. Et quand Régis Labeaume demande, on l'écoute.

Mais Régis Labeaume a surtout apporté à la capitale quelque chose d'immatériel. «Le maire à allumé la ville», dit François Bourque, chroniqueur au Soleil.

«Régis Labeaume a profité de l'élan du 400e pour redonner à la ville une grande fierté. Le maire fait tripper les gens de Québec. Nous avons le sentiment que tout est possible», dit David Desjardins.

Drôle de campagne

Tout... sauf battre Régis Labeaume le 1er novembre! C'est tellement vrai que le parti qui forme l'opposition officielle ne présente pas de candidat à la mairie. Le seul parti à briguer la mairie est le Défi vert de Yonnel Bonaventure - qui avoue ne pas trop sortir de son quartier pour faire campagne.

L'adversaire le plus visible de Régis Labeaume est, en fait, le controversé animateur de radio Jeff Fillion, qui explique que s'il s'est lancé dans la course, c'est pour «aider le maire à s'améliorer».

Jeff Fillion dit qu'il trouve aberrant que le Rassemblement municipal de Québec (RMQ) se soit défilé de la course à la mairie. Il craint que cela ne renforce certains défauts du maire, qu'il juge de plus en plus arrogant.

Mais au fond, Jeff Fillion aime bien Régis Labeaume. «Je le soutiens, mais je ne veux pas lui donner carte blanche, dit-il. Il ne faut pas que ça devienne une monarchie, tout ça.»

Régis Labeaume jouit d'un taux de popularité à faire verdir d'envie Barack Obama: autour de 80, et même 90%. Pourtant, il mène une campagne à fond de train, comme s'il faisait face à des adversaires menaçants. Qu'est-ce qui fait donc courir le candidat Labeaume?

La tourtière de Pauline

Une partie de la réponse tombe tandis que nous partageons une tourtière du Lac-Saint-Jean, livrée en personne par sa tante Pauline, de Girardville.

Nous mangeons sans formalité, dans le bureau du maire. «Ce qui a été le plus tough, depuis deux ans, confie Régis Labeaume, c'est de gérer en minoritaire. L'opposition passait 50% de ses énergies à me mettre des bâtons dans les roues.»

Il n'en revient pas encore que le RMQ se soit opposé au projet du Moulin à images. «Ça n'a pas de bon sens, maudite marde, c'est le parti de Jean-Paul L'Allier», tonne-t-il entre deux bouchées.

«Moi je dis que si on ne dépense pas pour la culture, on va faire juste des égouts», dit-il. Pour faire passer ses projets, Régis Labeaume a misé sur l'enthousiasme populaire.

S'il rame aussi fort aujourd'hui, c'est parce qu'il veut faire élire autant de conseillers que possible. Il veut avoir les coudées franches. Il a toutes les chances d'y parvenir: seulement une poignée de candidats de l'opposition peuvent espérer survivre au raz-de-marée Labeaume.

Que fera-t-il, maintenant qu'il n'aura plus à se battre contre l'adversité? Il déballe ses idées avec la vitesse d'une mitraillette. Il rêve d'implanter un système informatique qui permettra aux citoyens de voir où se trouve la souffleuse à neige qui doit nettoyer leur rue, par exemple. Il veut transformer le quartier de Saint-Roch en un Soho, version Québec. Conclure des ententes avec les promoteurs immobiliers pour les empêcher de construire des immeubles «laids». Et bien sûr, ramener une équipe de hockey dans la capitale.

L'idée derrière tout ça: rendre Québec attrayant pour le «couple de finissants de l'École polytechnique qui cherche un endroit où élever sa famille». Et pour ça, ce qu'il faut, «c'est une ville avec un buzz».

Mais cet homme qui compose mal avec l'adversité ne risque-t-il pas d'être perverti par le pouvoir? C'est ce que craignent ses critiques, qui voient en lui de la graine de Napoléon. «C'est un personnage exécrable, il rit de l'opposition, il est mégalo», s'indigne Yonnel Bonaventure.

Ce dernier reproche aussi au maire d'outrepasser son champ de compétences avec sa multitude de projets. «Le rôle d'une ville est de donner des services à ses citoyens qui paient des taxes pour les égouts et les ordures. Avec Régis Labeaume, c'est du pain et des jeux.»

Mais à Québec, on en veut, du pain et des jeux. Même quand ils sont livrés dans un emballage de gros mots...