Un homme de 70 ans est mort vendredi après qu'un bateau à moteur eut happé son petit voilier sur le fleuve Saint-Laurent. La tragédie sème tristesse et colère chez les proches de Jacques Godin (à ne pas confondre avec le comédien).

Il avait 18 ans lorsqu'il a franchi le Saint-Laurent à la nage pour impressionner celle qui allait devenir sa femme. Il a traversé l'Atlantique en voilier, navigué pendant 50 ans. C'est en s'adonnant à ce qu'il aimait le plus au monde qu'il est mort.

Lorsqu'elle l'a aperçu, gisant dans un lit de l'hôpital Le Gardeur, Lorraine Huard est restée figée. «J'ai vu mon homme et ça m'a donné un choc, a confié la femme de la victime, rencontrée chez elle, à Boucherville. Il était tellement en forme que je l'appelais mon ado.»

Vendredi après-midi, un bateau à moteur long d'environ 13 mètres a littéralement passé sur le petit voilier de Jacques Godin. L'homme, qui avait subi de profondes lacérations, a été transporté à l'hôpital. Son décès a été confirmé en soirée.

«Il est mort en faisant ce qui le passionnait», a dit Mme Huard.

Derrière elle, un voilier miniature trône au sommet d'une bibliothèque. C'est un cadeau que M. Godin avait reçu de ses deux petits-enfants.

Le terme «navigateur expérimenté» est un euphémisme dans son cas. Retraité, il prenait le large chaque jour que la météo le lui permettait. Il a déjà traversé l'Atlantique et participé à de nombreuses expéditions en haute mer.

Lorraine Huard jure qu'elle n'a jamais craint que la passion de son amoureux pour la voile puisse un jour le mettre en danger.

«Il ne prenait jamais de risques, a-t-elle indiqué. Il était bien préparé et il ne s'aventurait pas pour avoir des problèmes.»

Drapeaux en berne

En 1962, Jacques Godin a été l'un des membres fondateurs du Club nautique de Mézy. À plusieurs reprises, il a interpellé les élus de Boucherville pour les convaincre d'investir dans la petite marina. Le Club nautique de Mézy lui avait conféré le titre honorifique de commodore.

Les drapeaux étaient d'ailleurs en berne, samedi, dans la petite marina qui compte une cinquantaine de membres. Les plaisanciers n'étaient pas d'humeur à larguer les amarres, même si le soleil semblait enfin vouloir percer les nuages.

Vendredi, Réjean Drolet avait donné rendez-vous à son vieil ami pour une balade sur le Saint-Laurent. Les deux compagnons avaient hissé les voiles en même temps, mais M. Godin avait pris du retard.

«Le vent ne soufflait pas pour lui», a relaté M. Drolet.

Lorsqu'il a remis le cap sur la marina, le pilote a été doublé par des embarcations de la police et de la garde côtière. Craignant qu'un accident ait eu lieu, il a vite sorti ses jumelles.

«C'est là que j'ai vu le numéro 42 de sa voile, a-t-il raconté, encore sous le choc. C'était mon copain!»

Réjean Drolet a immédiatement appelé un ami resté sur la rive, lequel s'est aussitôt mis en route pour Pointe-aux-Trembles, où les policiers ont ramené les deux embarcations au sol. Là, les secouristes lui ont confirmé ses pires craintes : le commodore avait succombé à ses blessures.

Colère

Une famille de quatre personnes se trouvait à bord du bateau à moteur qui a percuté le voilier de Jacques Godin. Le père a été légèrement blessé aux pieds lorsqu'il a tenté de porter secours à la victime.

Le Service de police de la Ville de Montréal a mobilisé des enquêteurs spécialisés en collisions pour élucider les circonstances de l'accident. Il semble que le pilote de l'embarcation n'ait pas vu le voilier.

Cette version préliminaire fait rager plusieurs membres du Club nautique de Mézy, rencontrés samedi. Pour eux, ce n'était qu'une question de temps avant qu'une tragédie se produise.

«Les bateaux à moteur, c'est une vraie folie, a dénoncé Denis Paquin, qui pilote un voilier. Parce qu'ils sont gros, qu'ils font du bruit, ils pensent avoir tous les droits. Si tu ne vois pas un voilier qui est devant toi, tu regardes où?»

Selon les règles de la navigation, les voiliers ont priorité sur les embarcation à moteur. Mais plusieurs plaisanciers rencontrés hier estiment que ces lois sont régulièrement bafouées. Et ils dénoncent le manque de surveillance sur le Saint-Laurent.

«On n'a pas vraiment d'appui du côté de la Sûreté du Québec, a affirmé Daniel Rochon, secrétaire du Club. On ne la voit pas souvent ici.»