Il y a quelques semaines, l'organisme Droits et démocratie, qui oeuvre auprès des femmes afghanes, a dû prendre une décision difficile: annuler une séance de formation qu'on comptait donner à Kandahar à un groupe de femmes. Thème de la rencontre: les droits des femmes et l'Islam. «C'était trop dangereux de réunir un groupe à Kandahar. Si le sujet s'était ébruité, ça aurait pu poser un danger pour les participants», raconte Alexandra Gilbert, qui travaille pour l'organisme et en est à son quatrième séjour en Afghanistan.

La formation a finalement eu lieu à Kaboul, dimanche dernier. Deux femmes ont fait le voyage de Kandahar. Douze heures de trajet sur des routes poussiéreuses. Ces femmes travaillent, dans la ville rigoriste du sud de l'Afghanistan, à donner des services juridiques aux femmes. Or, pour se déplacer dans la capitale «elles ont dû venir accompagnées d'un membre masculin de leur famille», raconte Mme Gilbert.

 

L'anecdote illustre bien le chemin qu'il reste à parcourir pour que les femmes afghanes, surtout celles qui vivent hors de la capitale, puissent profiter de droits minimaux. Et cette semaine, le président Hamid Karzaï, l'homme à la cape vert bouteille, a posé d'autres embûches sur le chemin des Afghanes, en faisant adopter une loi machiste qui autorise notamment le viol conjugal et interdit aux femmes chiites - qui forment entre 10 et 25% de la population - de sortir de chez elles sans l'autorisation de leur mari.

Pour Droits et démocraties, comme pour la plupart des organismes qui travaillent en Afghanistan, la surprise a été totale. «Depuis des mois, on travaille à réviser le Code de la famille article par article, en s'inspirant de lois en vigueur dans des pays d'obédience chiite, mais beaucoup plus progressistes. Inutile de vous dire que l'ébauche qu'on avait soumise, ce n'est pas vraiment ce qui est sorti cette semaine», raconte Mme Gilbert.

Le projet de loi adopté à la sauvette par le président, pour gagner les votes des régions les plus traditionalistes du pays, est «extrêmement dangereux», selon Alexandra Gilbert, parce qu'il «légalise des pratiques coutumières dans le pays». Et la loi pourrait aussi faire tache d'huile. Car les sunnites les plus conservateurs pourraient eux aussi réclamer que leurs femmes soient régies par une législation semblable.

D'intenses pressions internationales

Mais le président Karzaï sera soumis à de très fortes pressions de la part de ses alliés occidentaux pour jeter la loi au panier. Les parlementaires canadiens ont réagi cette semaine avec un front commun inébranlable. «C'est inacceptable. Point final», a déclaré le ministre de la Défense, Peter MacKay. «Ça ne va pas. Ça ne va pas du tout», a renchéri le chef libéral, Michael Ignatieff. Les déclarations de l'ambassadeur afghan au Canada, Omar Samad, qui a laissé entendre que la loi serait révisée, n'ont rassuré personne. «Je ne pourrai pas dire que je suis satisfait tant que nous ne verrons pas un réajustement de cette loi», a rétorqué le ministre du Commerce international, Stockwell Day.

Hamid Karzaï, lui, a gardé le silence le plus complet sur cet enjeu brûlant. Mais il n'aura pas le choix de faire face à la colère de ses alliés au sommet de l'OTAN, qui se déroule à Strasbourg en fin de semaine.

En six ans de pouvoir, l'étoile de M. Karzaï n'a cessé de de pâlir en Occident. Rappelez-vous, en 2002, à son arrivée, il avait été sacré «l'homme le plus chic du monde», par Tom Ford, le styliste de Gucci, qui l'avait décrit comme «un croisement entre Sean Connery et Omar Sharif». À l'époque, les ventes de capes en soie, que le président afghan porte sur des complets italiens, avaient grimpé en flèche à New York.

Après avoir passé six ans à gérer un pays où règne la corruption, coincée entre les rudes seigneurs de la guerre de son pays et les demandes progressistes de ses alliés occidentaux, l'icône de la mode a perdu beaucoup de son lustre.